
Expulsé à 17 ans pour avoir dénoncé la corruption, torturé, emprisonné, puis devenu symbole de résistance, le parcours d’un homme qui incarne l’espoir d’un Cameroun uni.
Tout commence dans une salle de classe du lycée public de Mfou, en 2001. Un adolescent en classe de première découvre, indigné, le système de racket orchestré par son proviseur : chaque élève doit acheter une table-banc, revendue chaque année pour enrichir le directeur. À 17 ans, il se présente à la présidence de la coopérative lycéenne, remporte les élections, et dénonce l’abus. En mars 2001, il est exclu de l’établissement. Vingt-deux ans plus tard, cet homme, Jules Maxime Doubena Tongo, incarne la résistance face à un système répressif camerounais qui étouffe toute voix dissidente. Son crime ? Avoir osé croire en la justice, puis avoir rejoint le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), parti d’opposition farouchement réprimé.

Ici en pleine campagne de sensibilisation pour l’inscription sur les listes électorales des déplacés internes
2001-2008 : Les racines d’un combat
Son militantisme naît sur les bancs de l’école, dans un Cameroun où même l’éducation est monnayée. « J’ai été sanctionné pour avoir réclamé ce qui nous revenait de droit », confie-t-il. Exclu, il étudie seul, intègre un autre lycée, mais garde en lui cette « flamme de révolte » qui s’embrase en 2008, lors des émeutes de Yaoundé. La brutale répression gouvernementale le marque : « Je comprenais que la peur était l’arme favorite du pouvoir. »
2012-2018 : Parcours d’un résistant
En 2012, inspiré par la démission courageuse de Maurice Kamto, ancien ministre de la Justice et fondateur du MRC, il rejoint ce parti, défiant les clivages ethniques. Bétis dans un mouvement majoritairement bamiléké, il gagne la confiance par des actions concrètes : nettoyages de quartiers, matches de football, repas communautaires. Élu président d’une unité locale en 2016, il organise des réunions dans un lycée grâce à un proviseur anglophone opposant. Mais en septembre 2018, son engagement le mène en enfer.
Septembre 2018 : La descente aux enfers
Arrêté avec trois militants après une réunion, il est conduit à la Direction Régionale de la Police Judiciaire (DRPJ). Menotté, plongé dans des fûts d’eau souillée, frappé à la machette sur la plante des pieds, torturé pendant un mois. « Ils voulaient briser mon esprit. Ils ont échoué. » Libéré en novembre, son corps est meurtri, mais pas sa détermination.
2019-2023 : Répression, résilience, et résistance
En juin 2019, lors d’une marche pour la libération des dirigeants du MRC, il est de nouveau arrêté avec 400 manifestants. Emmené au sinistre quartier « Kosovo » de la prison de Nkondengui, il survit à une mutinerie, à des tortures au SED (Secrétariat d’État à la Défense), et même au choléra. « Huit camarades sont morts. Les religieuses m’ont sauvé. » Assigné à résidence en 2020, il milite clandestinement, distribuant des masques pendant le Covid.
2023 : L’espoir malgré les menaces
En 2023, il devient secrétaire adjoint de la Fédération MRC de Yaoundé 6. Porteur d’un projet audacieux — rallier 25 000 séparatistes anglophones —, il organise un meeting historique le 6 mai, malgré les attaques des militants du RDPC (parti au pouvoir). Mais l’État contre-attaque : après une convocation menaçante chez le préfet en juin, il vit sous la menace constante. « Ils m’ont dit : *Nous allons te nuire*. Mais je continue. Le Cameroun mérite mieux que la peur et les tribus. »

Un symbole d’unité
Son histoire résume les maux camerounais : corruption, tribalisme, répression. Mais aussi l’espoir porté par ceux qui croient en un pays uni. « Je suis Bétis dans le MRC, mais nos combats sont universels : justice, transparence, démocratie. » Malgré les séquelles physiques et les risques, il refuse de fuir. « Si je me tais, qui parlera ? »
Une lutte sous surveillance
Aujourd’hui, son téléphone est sur écoute, ses déplacements limités. Pourtant, chaque matin, il accompagne ses enfants à l’école, symbole d’un avenir qu’il veut léguer. Dans l’ombre, des milliers de militants suivent sa trace, portant un rêve simple : un Cameroun où l’on ne vend plus les tables-bancs, où l’on ne torture plus pour une carte d’électeur. Son combat, comme celui du MRC, reste fragile, mais obstiné. Et dans les rues de Yaoundé, malgré les sirènes, l’espoir murmure encore.
Emmanuel Ekouli