C’est une révélation fracassante faite par le prêtre catholique  et contenue dans son récent ouvrage intitulé A Cœur Ouvert  (un prêtre  s’exprime à bâton rompu sans tabou). Abbe Thomas TCHIAGA  66 ans dont 38 ans de sacerdoce,curé de deux paroisses dont   la paroisse St Michel de Bomono, aborde avec lucidité et sans aucune complaisance  ces questions de tribalisme et de régionalisme  qui font actuellement débat au sein de la  société camerounaise. Un débat auquel l’église catholique  n’y échappe pas, malheureusement.

Abbé Thomas TCHIAGA  par ailleurs  délégué des prêtres diocésains, responsable  diocésain de la formation permanente des prêtres  et de la communication dans le  diocèse de Nkongsamba jette un regard horizontal  sans filtre  sur les questions de tribalisme et de régionalisme  en mettant en exergue notamment le  mode de fonctionnement de l’église catholique en matière de recrutement formation répartition de ses prêtres et évêques qui au lieu de lutter contre ces deux maux les  entretiennent  voire les  amplifient en dépit de leur très fort potentiel de déflagration . 

Extrait du livre  A Cœur Ouvert  (un prêtre  s’exprime à bâton rompu sans tabou).

Le rejet se manifeste parfois là où on ne l’attend pas, notamment dans les rapports entre les prêtres. Tout au long de vos 33 ans de sacerdoce, avez-vous été victime du rejet identitaire de la part de vos confrères ?  

J’ai eu la chance de travailler dans mon diocèse de naissance, étant de la diaspora d’un autre diocèse. Et au sein de l’église, j’ai eu une déception que je n’avais pas eue dans mon village de Loum chantier. Là-bas, il y avait un véritable brassage des ethnies. Nous nous sentions des frères et personne ne fessait attention à la tribu de l’autre. Mais, dans l’église, des voix, heureusement minoritaires, s’élèvent pour demander que chacun travaille dans sa région d’origine. Un jour, quelqu’un me pose la question de savoir pourquoi il y a trop de Bafang dans le clergé du diocèse de Nkongsamba. Et moi de lui répondre d’aller voir de la cote des diocèses de Mbalmayo, d’Edéa, d’Eseka, etc. Et d’en tirer lui-même la conclusion. Voilà à mon avis une chose que l’église n’aurait pas dû faire. Ce tribalisme est renforcé par le fait que les gens de même tribu sont en général ordonnés prêtres dans leur diocèse d’origine et y exercent leur ministère pendant toute leur vie. Je défierai quiconque de trouver à l’ instant un prêtre Bafang dans le diocèse de Bafoussam alors que Bafang n’est pas si éloigne de cette ville.  Ne parlons pas d’Eseka, d’Edéa, d’Obala, et autres. Il y a là un réel problème d’intégration et, là aussi l’église  locale et au-delà, l’église universelle a manqué le cap. 

Parlant de régionalisme dans l’église, on constate qu’un francophone n’a jamais été nommé évêque dans la province ecclésiastique de Bamenda en zone anglophone. Cela remet il en question cette unité de l’église ? 

C’est une question de fond. A la base, la structuration de l’église conforte  cette situation que nous déplorons. Sur ce point, elle a beaucoup à apprendre à l’administration publique. Les fonctionnaires sont ​affectés sur toute l’étendue du territoire et cela renforce l’unité nationale. Je me rappelle qu’à Mbanga, un sous-préfet d’origine anglophone y avait été affecté, alors qu’il ne savait même pas dire une phrase correcte en français. Il était très apprécié et aimé. Ce même sous-prêt a été affecté à l’extrême-nord du Cameroun. Alors que dans l’église, on semble tourner dans un mouchoir. Il n’est pas souhaitable, à mon humble avis, qu’un prêtre tourne en rond dans un seul diocèse, dans un rayon de dix kilomètre. Si j’avais à faire une suggestion sur ce point, je dirais que l’église gagnerait à constituer une centrale des affectations qui ferait qu’un prêtre puisse travailler d’un diocèse à un autre. Cela l’enrichirait beaucoup sur le plan pastoral et enrichirait les autres. Jésus n’a pas fait grand-chose à Nazareth… il en a fait plus en Bethsaide et loin de chez lui.  

Comme cela se fait au niveau de la fonction publique, pourquoi ne peut-ont pas avoir à la conférence épiscopale une centrale des affectations sur le plan national ? moi, prêtre du diocèse de Nkongsamba, je serais très heureux d’aller travailler à Yagoua, a Yokadouma plutôt que d’être curé de Loum-chantier, puis à Nlohé, ensuite à Mbanga, a Njombé, et enfin, à Penja, localités qui sont d’ailleurs très rapprochées. Tout cela est frustrant et pousse à une fermeture d’esprit, à un repli sur soi-même. A force de tourner sur place, on s’use et on se fait abuser, non ?  

Les prêtres sont formes globalement dans les grands séminaires de leur province ecclésiastiques. N’y a-t-il pas la aussi une explication de ce que vous venez de dire ? 

Avant, il y avait un seule grand séminaire pour l’Afrique centrale a Nkolbisson, à Yaoundé. Ce séminaire accueillait tous les futurs prêtres de l’Afrique centrale si bien que nous avions des amis partout et pouvions être complémentaire dans des expériences pastorales. Mais, aujourd’hui, les séminaires sont créés dans toutes les régions ecclésiastiques, ce qui fait qu’un séminariste de Yaoundé ne peut même pas connaitre les villes de douala, de Bafoussam ou de Nkongsamba, pour ne citer que celles-ci. Et pourtant nous sommes tous au Cameroun. Il y a un réel problème et, à l’heure, de la mondialisation, cette façon de rester cloitré et de se compartimenter n’ouvre pas la voix à l’intégration dont on parle tant dans l’administration. Il est tout à fait normal de garder les Grands séminaires provinciaux mais il ne faut pas faire en sorte que ceux-ci n’accueillent que les séminaristes de leur province ecclésiastique. Le diocèse d’Obala, par exemple, pourrait envoyer ses séminaristes à douala ; ceux de douala à Bamenda, comme cela se faisait avant et ainsi de suite.  Puisque nous avons la chance d’avoir cinq grands séminaires, nous pouvons profiter des spécificités régionales pour les spécialiser plus ou moins !

On relève souvent que ce qui crée la discorde dans l’église, c’est la course au matériel, notamment à l’argent. Cet argent sert-il aux besoins de l’église ou aux besoins personnels des pasteurs ? N’est-il pas vecteur de jalousie et de haine entre ceux qui ont et ceux qui n’en ont pas ? 

Vous répondez à votre propre question. Normalement, on ne peut parler de jalousie dans l’église. C’est un terme inapproprié pour le sacerdoce. Comme au temps des apôtres, il y a eu des malentendus et même des querelles. A lire les coulisses de Vatican II, il y a eu des querelles. Le problème n’est pas d’éviter querelles. La solution dans un problème n’est pas qu’il ait entente entre les protagonistes mais que les gens se comprennent. La vérité ; c’est que, dans l’église, il y a une injustice dans la répartition. Pourquoi un prêtre doit ilêtre attache au standard de vie de sa paroisse ? Il y a des paroisses dites juteuses et d’autres dites squelettiques. Il devrait avoir une honnêteté de la part des prêtres, des paroisses et des évêques pour favoriser  une péréquation afin que les uns et autres ne se battent plus pour être cure d’une paroisse juteuse, en quittant une paroisse démunie. Il n’y a pas au Cameroun d’organisation nationale de la vie matérielle des prêtres depuis que l’église existe. Dans tous les diocèses de notre pays, les évêques essaient de parvenir à une juste répartition mais n’y arrivent pas à cause des moyens limitées et du manque de transparence. Et du coup, la nature ayant horreur du vide, chacun voulant assurer son lendemain se bat de son côté. Dans certains diocèse, certains prêtres refusent de dispenser des cours de religion parce qu’ils ne sont pas chèrement payés, préférant dispenser des cours de philosophie dans les lycées puisqu’après tout,  il faut vivre. S’il y avait, à la base, une certaine justice, une certaine péréquation, le prêtre serait heureux quel que soit l’endroit oule ministère l’appelle, et ne battrait pas pour aller à tel ou tel endroit. La jalousie nait de là. La pauvreté est la mère des vices. C’est cela qui fait la différence avec les autres églises.  Dire que les prêtres et les évêques s’enrichissent est une vision erronée. Par contre, les prêtres et les évêques travaillent pour enrichir l’église, à travers leurs amis, et leurs relations. 

Propos recueillis par Rodrigue Tchokodieu

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