Pour Cabral Libii, dans cette crise que traverse le PCRN, est en jeu son contrôle sur le parti en tant que président national, sa possibilité de se représenter en 2025 et ses chances d’être élu député en cas d’échec à la prochaine présidentielle. En résumé, cette lutte de leadership remet en jeu l’avenir politique de Cabral Libii à l’échelle nationale. Un seul avantage, le risque que sa “mort” politique peut représenter pour le pouvoir RDPC.

Voici l’éclairage de Léonel Loumou, Conseiller Stratégique et Politique au cabinet conseil ORIN CONSULTING GROUP LTD

Les militants du PCRN ont été interdits de défiler dans plusieurs villes du pays à cause de la guerre de leadership qui divise actuellement ce parti d’opposition. Cabral Libii, l’un des protagonistes, pense que cette situation est entretenue par le Minat. Êtes-vous d’accord avec cette opinion ?

Du point de vue des militants du PCRN, notamment ceux qui sont fidèles à Cabral Libii, il est légitime et aisé de penser que c’est le Ministre de l’Administration Territoriale qui entretient cette crise au sein de leur parti. Les arguments avancés par ces militants et sympathisants semblent justifiés. En effet, certaines décisions administratives qui ont affaibli le député Cabral Libii à la tête du PCRN ont été prises par le Ministre de l’Administration Territoriale.

Il est clair que le « responsable » des récents malheurs du PCRN est identifié et selon les communicants et alliés du PCRN, le ministre de l’Administration Territoriale agit dans l’illégalité en ne respectant pas les textes juridiques régissant les relations entre les partis politiques et le Minat. Pour ne citer que cet aspect. Ainsi, les questions de légalité et de légitimité ont constitué, avec la dénonciation d’un acharnement, la principale ligne de défense de Cabral Libii et de son groupe.

Cependant, d’un point de vue réalpolitik et en mettant de côté les subtilités juridiques, le Ministre Paul Atanga Nji, ou du moins le pouvoir de Yaoundé, cherche simplement à préserver son pouvoir et saisit toutes les opportunités disponibles. Cela inclut la négligence des cadres du PCRN dans la gestion de leurs relations avec Robert Kona, le fondateur du parti.

Les conseillers et stratèges du PCRN ont perdu de vue la nature de l’environnement politique dans lequel ils évoluent. Ils ont sous-estimé le danger représenté par Robert Kona et ont probablement pris pour acquis les positions fortes occupées par leur parti sur l’échiquier national. Cet oubli des réalités a offert au pouvoir de Yaoundé une ouverture pour fragiliser davantage le PCRN et Cabral Libii, qui, selon des informations, tentait déjà d’établir des relations avec des acteurs sociaux et économiques locaux et étrangers en prévision des élections présidentielles de 2025.

Vous parlez d’« affranchissement » ? Pouvez-vous préciser ?

Les analyses concordantes suggèrent que la montée en puissance politique du PCRN dans le Nyong Ekele lors des élections municipales et législatives de 2020 s’est faite au détriment de l’Upc dirigé par l’ancien député Bapot LipotRobert. En effet, l’honorable Bapot Lipot Robert et plusieurs de ses camarades avaient été écartés de la course aux élections législatives de 2020 par le Conseil Constitutionnel, ouvrant ainsi la voie aux candidats du PCRN. Le 30 avril 2020, Bapot Lipotest nommé membre du conseil d’administration de la Société de Recouvrement et des Créances (SCR), puis le lundi 4 mai de la même année, il est élu à sa tête. Ces faits renforcent la théorie selon laquelle Cabral Libii doit son assise politique au RDPC, au pouvoir à Yaoundé, depuis sa candidature à la présidentielle de 2018, perçue par certains analystes comme visant à affaiblir la dynamique de Maurice Kamto. Quant aux relations que Cabral Libii tente de nouer, selon des sources proches, elles s’inscriraient dans une dynamique ethnique visant à mobiliser toutes les forces du grand groupe Bassa’a – Littoral, pour maintenir leurs représentants à des postes de pouvoir et en faire accéder d’autres en vue d’une éventuelle transition politique.

Qui, entre Cabral Libii et Robert Kona, risque le plus dans cette guerre des chefs ?

Il est évident, d’un point de vue politique, que Cabral Libii est la cible principale et donc celui qui risque le plus dans cette lutte de leadership. Pour Cabral Libii, il en va de son contrôle sur le parti en tant que président national, de sa possibilité de se représenter en 2025 et d’être élu député en cas d’échec à la prochaine présidentielle. En résumé, l’avenir politique de Cabral Libii à l’échelle nationale est en jeu. Dans cette perspective, il faut également inclure les avantages économiques, commerciaux et de réseau qu’offre le titre de député de la nation dans notre contexte politique, ce qui est crucial pour de nombreux élus.

D’un autre côté, mis à part une relative tranquillité dans sa vie quotidienne, Robert Kona n’a pas grand-chose à perdre. En effet, il était déjà établi que le fondateur du PCRN était négligé et ne bénéficiait pas des dividendes politiques promis par Cabral Libii et son entourage. Il semble également bénéficier d’une série de facilités et d’avantages divers pour mener ses activités et assurer son quotidien dans cette bataille.

Cependant, pousser cette stratégie à l’extrême (jusqu’à l’élimination politique de Cabral Libii) pourrait s’avérer risqué pour le pouvoir de Yaoundé, offrant à Cabral Libii, dans un contexte de tension populaire, une opportunité populiste (l’exploitation d’une lutte à mort entre les élites du RDPC et les populations qui souffrent), à l’approche d’une échéance électorale potentiellement incertaine.

Si Cabral Libii perd le contrôle du PCRN, quel impact cela pourrait-il avoir sur le paysage politique du Cameroun ?

Initialement, cela pourrait voir un retour de l’Upc sur ses terres politiques, comme l’ont suggéré récemment certains communiqués de Bapot Lipot, qui semble vouloir remobiliser la faction de l’Upc qu’il dirige pour les prochaines élections.

Il est cependant important de noter que retirer le PCRN à Cabral Libii signifierait probablement la fin de sa carrière politique, car reconstruire la dynamique qu’avait déjà le PCRN avant la crise serait extrêmement difficile. Mais cette « mort politique », si elle se produisait, pourrait offrir à Cabral Libii une opportunité populiste, comme je l’ai mentionné précédemment.

En fait, depuis des années, il tente de se forger une image d’opposant fort et indépendant. Il prend position ouvertement et courageusement sur des questions souvent évitées par d’autres partis d’opposition. Confronté à des critiques et à une partie de l’opinion publique qui l’accusent d’être un collaborateur du RDPC, il construit une image de candidat sérieux contre le RDPC et de principal rempart contre une éventuelle candidature de Franck Emmanuel Biya, le fils du président de la République. Il structure ainsi un récit de victimisation, celui de l’opposant que le régime craint et sur lequel il s’acharne pour empêcher qu’il ne vienne contrarier les plans d’une transition arrangée. Ainsi, politiquement « tuer » Cabral Libii viendrait confirmer et légitimer son discours.

Cette légitimation de son discours pourrait alors facilement conduire à une stratégie de « lutte des classes », alimentée par la frustration causée par le coût de la vie élevé et la peur palpable parmi les Camerounais concernant leur avenir. En effet, les partisans fidèles et les sympathisants pro-Cabral du PCRN pourraient ressentir que la « destruction » politique de Cabral Libii leur enlève toute chance de s’exprimer et d’aspirer légitimement à de meilleures conditions de vie. Ce sentiment pourrait les pousser à investir dans des formes de contestation politique non légales, telles que la mobilisation dans la rue et la désobéissance civile.

Enfin, soustraire définitivement ou durablement Cabral Libii de la vie politique active laisserait un vide dans le paysage politique, notamment celui du jeunisme politique, un opposant « proche du peuple », populiste sur qui on peut miser et que l’on connaît bien. De ce vide, pourrait émerger par un concours de circonstances sociales ou par calcul politique, une autre force ou un autre leadership jeune, moins contrôlable et porté par la colère populaire et la volonté de sanctionner le pouvoir de Yaoundé. Pour le régime, affaiblir Cabral Libiiserait plus utile que de le voir politiquement mort. Nous pourrons revenir ultérieurement sur la description d’un Cabral Libii affaibli et utile pour le pouvoir en place à l’aune des nouvelles données sociales et politiques.

Comme Cabral Libii, troisième homme de la dernière présidentielle, Maurice Kamto, deuxième homme de cette dernière présidentielle, pourrait lui aussi aller à la prochaine élection sans son appareil politique, le MRC. Pensez-vous que ces deux cas appellent à la même interprétation ?

Le cas du MRC est différent à plusieurs égards de celui du PCRN, même si ces deux partis de l’opposition payent les frais de leurs graves erreurs stratégiques.

Contrairement au PCRN, le MRC serait dans une position différente aujourd’hui s’il avait participé aux dernières élections législatives et municipales de 2020. C’est cette absence électorale qui met le MRC en difficulté pour les prochaines échéances politiques. En refusant de participer aux dernières élections locales, le parti MRC, tout comme le PCRN, a perdu de vue la nature de notre environnement politique et a sous-estimé la capacité de nuisance du parti au pouvoir. En effet, ils se sont exposés à une incapacité juridique de présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle, convaincus que le Président de la République pourrait ne pas proroger le mandat des élus locaux et députés. Mais la tendance semble nous dire le contraire, et le jeu politique, dans sa froideur, recommande au Président de la République de proroger le mandat des députés et conseillers municipaux.

Le régime de Yaoundé n’est-il pas en train d’éliminer des adversaires politiques importants avant l’élection de 2025 ?

Je dirai froidement que ce sont les adversaires politiques du régime qui font des fautes et des erreurs stratégiques qui les éliminent progressivement de la course aux prochaines échéances électorales. Selon Sun Tzu, dans « L’Art de la guerre », ce sont nos erreurs qui nous font perdre des batailles et non la stratégie de nos adversaires. Alors le principe, c’est de faire le moins d’erreurs possible, surtout lorsqu’on n’a pas l’avantage du rapport de force direct.

Et en l’état des choses, comme je l’avais déjà relevé dans les précédentes analyses de notre cabinet sur « la cartographie de la transition politique au Cameroun » (document de prospective stratégique sur les scénarios de la transition et les forces qui s’affrontent), l’opposition au Cameroun ne dispose pas encore des leviers lui permettant de prendre le pouvoir par les urnes.

Pour revenir à Cabral Libii, comment appréciez-vous son déploiement au beau milieu de cette crise ?

Dans un premier temps, Cabral Libii a surestimé sa capacité de résistance face à ce qu’il voyait déjà venir et par ricochet sous-estimé la détermination de Robert Kona à améliorer sa condition politique. Probablement rassuré par les récentes défaites juridiques du Minat dans les dossiers du CPP, de l’UPC ou du MDR, il a opté pour un affrontement direct en essayant de mobiliser l’opinion derrière lui et de discréditer Kona Robert. Se rendant compte que cette stratégie était contre-productive car elle favorisait une escalade qu’il ne contrôlait pas, il a ensuite opté pour la stratégie de la déconnexion en refusant d’accorder du temps médiatique à l’affaire. L’objectif était probablement de calmer le jeu pour mieux appréhender la situation et peut-être renouer le dialogue avec les forces politiques qui agissent en sous-main sur le dossier. Il serait en effet intelligent d’anticiper toutes les tournures que pourrait prendre cette affaire, y compris la possibilité de se faire investir par un autre parti.

Comment tout ceci va-t-il finir, selon vous ?

Comment cela va-t-il finir, difficile à dire, mais Cabral Libii et Kamto finiront par être candidats à l’élection de 2025, peut-être pas avec leurs appareils politiques respectifs, mais ils auront des rôles à jouer. Reste à voir si ces rôles leur seront attribués ou s’ils finiront par acquérir une véritable autonomie politique pour influencer le cours du jeu.

Pour ce qui est du PCRN, je présume que Cabral Libii va tenter de calmer davantage le jeu comme il le fait déjà, pour éviter le risque d’une disqualification politique d’ici octobre 2025. À cet égard, il y a quelques semaines, il a décliné une offre de concertation politique en Afrique du Sud adressée par des leaders de l’opposition sur le leadership du bâtonnier Akere Muna, motif pour lequel il voulait se concentrer sur la résolution de la crise au sein de son parti et trouver le moyen de faire évoluer la position du ministre Atanga Nji.

Propos recueillis à Yaoundé par Kom Mapié Erica Josée

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