Le 9 octobre 2024, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a fait une sortie remarquée qui continue de susciter une vive polémique. Dans un communiqué sans équivoque, il a ordonné aux gouverneurs des régions de “créer des services de veille chargés de suivre et d’enregistrer toutes les émissions et débats dans les médias privés”, tout en précisant que “tout débat dans les médias sur l’état de santé du président de la République est formellement interdit”. Ce passage en force a déclenché une vague de réactions parmi les responsables politiques, les professionnels des médias et les défenseurs des droits humains, qui y voient une atteinte grave à la liberté de la presse et d’expression.
Le député Jean Michel Nintcheu, figure de l’opposition camerounaise, a rapidement réagi à cette annonce. Dans une déclaration publique, il a dénoncé une “volonté d’instituer une gestapo dans les services des gouverneurs”. Selon lui, cette injonction de Paul Atanga Nji s’apparente à une confiscation de la liberté d’expression, garantie par la Constitution camerounaise et les conventions internationales ratifiées par le Cameroun.
Nintcheu a également fustigé l’instrumentalisation des services de l’État à des fins politiques. “Le président de la République est une institution nationale, qui appartient par conséquent à tous les Camerounais, et non le patrimoine personnel de M. Atanga Nji”, a-t-il rappelé. Il a ainsi affirmé que les citoyens ont le droit de connaître l’état de santé de leur chef d’État, question d’intérêt public qui ne peut être soumise à la censure d’un ministre.
Le ministre, en dehors de son périmètre ?
Les critiques ne s’arrêtent pas là. Plusieurs analystes rappellent que le ministre de l’Administration territoriale n’a pas de compétence directe sur les médias, rôle normalement dévolu au ministère de la Communication et au Conseil national de la Communication (CNC). En agissant de la sorte, Atanga Nji semble vouloir s’arroger des prérogatives qui ne lui reviennent pas.
De plus, sa gestion des crises récentes, notamment celle du riz Orca ou encore la gestion des dons liés à la COVID-19, a déjà terni sa réputation. Des scandales liés à la gestion des catastrophes naturelles, particulièrement dans l’Extrême-Nord et sur le Littoral, ont mis en lumière les défaillances de son ministère dans des domaines où il est censé exceller. Pour beaucoup, Atanga Nji devrait se concentrer sur ses propres attributions, au lieu de vouloir s’immiscer dans des questions de liberté de la presse.
Au-delà de la personne de Paul Atanga Nji, c’est le climat démocratique du Cameroun qui est en jeu. Cette sortie musclée a des répercussions importantes sur l’image du pays à l’international. Les classements mondiaux en matière de liberté de la presse et d’expression ne cessent de se dégrader, et cette nouvelle tentative de museler les médias ne fait qu’aggraver la situation.
Le Cameroun, qui se veut un État de droit, semble désormais régi par une règle implicite : celle de la loi du plus fort, où ceux qui détiennent les moyens de coercition peuvent imposer leur volonté au détriment des libertés fondamentales. Ce climat délétère, marqué par la répression des voix dissidentes, est contraire aux aspirations d’une démocratie avancée, souvent évoquée par le chef de l’État lui-même.
Quelles conséquences pour les médias ?
Cette tentative de contrôle des médias privés est révélatrice d’une peur au sommet de l’État face à des débats critiques. Les journalistes sont désormais avertis : toute discussion sur la santé du président sera considérée comme un délit. Pourtant, avec l’essor des réseaux sociaux et la multiplication des canaux d’information, il semble de plus en plus difficile de contrôler les informations circulant dans l’espace public.
En tentant de restreindre la liberté d’expression, le ministre Atanga Nji pourrait obtenir l’effet inverse, en provoquant une levée de boucliers des acteurs de la presse et des internautes. À long terme, cette pression constante sur les médias risque de fragiliser davantage un secteur déjà en difficulté, tout en accroissant la méfiance des citoyens envers leurs dirigeants.
Une dérive inquiétante
Cette sortie de Paul Atanga Nji est symptomatique d’un régime qui cherche à contrôler toute forme de critique, même légitime, au risque de bafouer les droits fondamentaux. La question de la santé du président, qui aurait pu faire l’objet d’un débat public sain et transparent, est désormais érigée en sujet tabou, renforçant ainsi le sentiment d’opacité au sommet de l’État.
Charles Chacot CHIME
Une réflexion sur “ La sortie musclée de Paul Atanga Nji, une menace pour la liberté de la presse au Cameroun ”