Quand elle écrit « Deux poids deux mesures », roman édité au Canada par XYZ en 2014, Sophie Jacmin, auteure naissante, a clairement l’intention de célébrer l’humour qu’elle étudie en farfouillant la bibliographie de Daniel Pennac. La jeune canadienne crée donc une fiction gaie avec un titre qui suspecte le catastrophisme. Elle a réussi l’exploit d’utiliser l’expression deux poids deux mesures pour entrainer le lecteur dans un monde ludique et sympathique. Un exploit qu’on ne peut réaliser qu’avec les livres.
Vous ne pensez pas comme moi ? Alors demandez à un quelconque Camerounais à quoi renvoie cette expression. Dans un pays où une classe de privilégiés s’arrogent tous les privilèges de la vie et regarde sans frémir la plus grosse frange de la population croupir dans la misère et la famine, l’expression deux poids deux mesures est loin de prêter à l’humour. Car il est clair que dans la société camerounaise tout le monde n’est pas pesé sur la même balance. Quand certains étudient pour diriger, d’autres étudient pour s’enregistrer au fichier des chômeurs à la recherche d’un emploie. Une véritable pratique du deux poids deux mesures.
A quelques mois de la prochaine élection présidentielle, les candidats de l’opposition reprennent, tous en chœur, le même crédo censé dénoncer le système des privilèges, qui avantage une poignée et condamne la majorité. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Voilà des années que le Social Democratic Front (SDF), qui s’est longtemps adjugé le strapontin de parti leader de l’opposition, présente ce combat contre les privilèges dans la formule bien choisie de « justice sociale ». Malheureusement, pour ceux qui croupisse dans la misère, cette justice sociale demeure un objectif à atteindre.
Conséquence de cette quête inachevée, les privilégiés continuent de parader dans les rues de nos villes sans le moindre scrupule. C’est même comme s’ils narguent les autres sans sourciller. C’est bien camerounais ce tableau. Que dire de plus. Vivement que le système des privilèges s’écroule et que la justice sociale finisse par régnerdans ce pays. C’est peut-être un rêve, mais il bien de rêver des fois pour échapper à la laideur de la réalité présente.
Ces derniers mois on a eu un exemple de cette réalité criarde. Le service central de recherche de la gendarmerie a convoqué Me Alice Nkom après une dénonciation d’une obscure organisation de la société civile baptisée Observatoire du développement sociétal (ODS). Il a fallu quelques jours pour convaincre les pandores de voir clair dans les dénonciations de ODS, qui accuse l’avocate Me Alice Nkom de financement du terrorisme, entre autres. Une célérité qui étonne quand on connait le deux poids deux mesures qui a fait son nid dans ce pays.
Pour preuve, plusieurs hauts commis de l’Etat font actuellement l’objet de plaintes diverses, mais contrairement à Me Alice Nkom, ils n’ont jamais été convoqués. Ils continuent de vaquer tranquillement à leurs occupations alors que cette avocate, 80 ans, doit aller s’expliquer après une plainte. Elle est attendue chez l’enquêteur désigné ce 14 janvier, jour de son anniversaire. Du vrai deux poids deux mesures. Ainsi va le Cameroun.
Emmanuel Ekouli