
Ce lundi, le 3 mars, Donald Trump a ordonné une « pause » dans l’aide militaire des Etats-Unis d’Amérique à l’Ukraine. Non seulement les nouvelles aides à venir sont stoppées, mais également celles déjà approuvées par l’ancienne administration de Joe Biden et pas encore livrées font également l’objet du gel par la Maison Blanche.
La suspension est immédiate et effective : les trains entiers de l’aide militaire américaine sont bloqués sur la frontière ukraino-polonaise et ne poursuivront pas leur acheminement vers le destinataire.
Depuis la réunion du 28 février dernier à la Maison-Blanche entre le président américain Donald Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, accompagnés de leurs équipes respectives, beaucoup d’informations circulent dans les mass médias sur le sujet qui a surpris, voir choqué plus d’un.
Néanmoins, avec le fossé de la rupture des relations bilatérales américano-ukrainiennes qui s’est concrétisé ce lundi, étant saturées par la composante émotionnelle, la majeure partie des informations sur le sujet ne reflètent que très vaguement les réelles conséquences concrètes qui auront dorénavant lieu sur l’Ukraine.
Le scandale
Aujourd’hui, Kiev est confronté à des conséquences du scandale diplomatique qui a eu lieu à la maison Blanche incomparablement plus graves que celles qui l’attendaient après la signature prévue du contrat de servitude au niveau des gisements de matières premières stratégiques et des infrastructures critiques de l’Ukraine pour la couverture des dettes réclamées par le maitre du bureau ovale.
Sans aucun doute, le dirigeant ukrainien Volodimir Zelensky porte la responsabilité personnelle de l’incident.
Si Trump pouvait aisément se permettre le comportement qu’il a eu lors de la rencontre, étant à la tête du pays-principal allié et sponsor de l’Ukraine dans le conflit militaire contre la Russie et en position de force incomparable – Zelensky, en ce qui le concerne, n’avait pas le moindre droit moral de mettre en avant son petit caractère, encore moins de riposter avec de la violence et avec un grave manque de respect jamais vu dans le cadre du protocole de la diplomatie publique vis-à-vis de ses interlocuteurs : derrière lui, toute une nation est sous la dépendance directe et dans le besoin vital d’aide étrangère, une population fatiguée de la guerre. Les forces armées ukrainiennes manquent cruellement d’armes, de munitions et de personnel combattant. Le front est au bord de l’effondrement, des centaines et parfois des milliers d’ukrainiens continuent à mourir chaque jour.
De nombreux politiciens américains ont qualifié le comportement du président ukrainien de honteux et ont préconisé la cessation de toutes relations avec ce dernier. Les plus grands partisans de Trump ont appelé Zelensky à démissionner. Cela a notamment été déclaré par le président de la Chambre des représentants, Michael Johnson, ainsi que par le conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz.
Personne n’a enlevé la responsabilité personnelle de Zelensky pour la tragédie que l’Ukraine est en train de vivre et il ne devrait, certainement pas, oublier sa vraie place face au véritable maitre du futur de son pays.
Maintenant que les négociations de paix ont échoué et que les Etats-Unis arrêtent leurs livraisons d’armements et munitions, l’Ukraine ne peut que s’attendre à de nouvelles pertes insensées à l’échelle encore plus importante qu’auparavant. Et quelques pertes que cela soit, tôt ou tard, l’Ukraine se retrouvera d’une manière inévitable dans une situation où elle sera obligée de s’asseoir à la table des négociations.
Vu la force et la pression croissante en discontinu de l’armée Russe sur les champs de bataille, chaque jour de résistance ne fait qu’aggraver la position de Kiev déjà précaire dans le cadre des futures négociations. Selon les prévisions des analystes militaires, sans l’aide financière américaine et la fourniture d’armes, l’Ukraine peut encore tenir six mois. Et ensuite ?
L’Ukraine était-elle prête pour la cessation de l’aide militaire américaine ?
Depuis le début de la guerre, les États-Unis ont été, de très loin, le principal allié de l’Ukraine. Aujourd’hui, le président américain Donald Trump a estimé l’aide fournie à hauteur de 350 milliards de dollars. Parmi les armes fournies par les États-Unis, il existe plusieurs éléments de l’importance stratégique que les forces armées ukrainiennes ne seront pas en mesure de substituer. En Europe, soit ils ne sont pas du tout produits, soit produits en quantité négligeable.
Les États-Unis d’Amérique changent radicalement leur vecteur en matière de géopolitique. Trump a mis à exécution sa détermination à cesser de soutenir l’Ukraine et, dans le même temps, la pression des sanctions sur la Russie par les Américains pourrait commencer à s’affaiblir – ce qui est déjà en train d’être discuté dans le cercle du haut pouvoir américain.
De son côté, le Kremlin a certainement proposé au président américain toute une série d’accords stratégiques, dont celui rendu public sur l’extraction en commune des métaux des terres rares. En conséquence, la probabilité est très haute que les ennemis d’hier aient beaucoup en commun demain en matière d’économie et de sécurité globale, ce à quoi Trump aspire grandement.
Dans une négociation B to B, le facteur-clé de la réussite est celui de l’interdépendance des parties en face. Les Russes ont su poser dans leur offre de bons accents sur les éléments dans lesquels le partenariat russo-américain ne peut qu’être mutuellement très bénéfique. Et dans cette nouvelle formule la confrontation russo-américaine sur le sol ukrainien n’a pas lieu d’être.
Depuis le début de la guerre, les États-Unis ont été, de très loin, le principal allié de l’Ukraine. Aujourd’hui, le président américain Donald Trump a estimé l’aide fournie à hauteur de 350 milliards de dollars. Parmi les armes fournies par les États-Unis, il existe plusieurs éléments de l’importance stratégique que les forces armées ukrainiennes ne seront pas en mesure de substituer. En Europe, soit ils ne sont pas du tout produits, soit produits en quantité négligeable.
Ainsi, la cessation de l’aide militaire américaine à l’Ukraine est, tout simplement, fatale vis-à-vis des capacités à combattre de l’armée ukrainienne.
Le système satellite Starlink
En cas de suppression par les Américains du système satellite Starlink pour l’Ukraine qui est également en train d’être mis en place, les militaires ukrainiens perdront leur principale source d’information et d’échange directement sur le champ de bataille.
Sans échange immédiat d’informations sur le champ de bataille, les soldats seront désormais privés de reconnaissance et de ciblage de qualité. Dans ce cas, la qualité opérationnelle de l’artillerie ukrainienne se verra reculer à des décennies en arrière. En conséquence directe, cela entraînera une augmentation considérable de la consommation de munitions, qui font déjà grand défaut, et, en outre, le matériel militaire ukrainien sera détruit par les forces armées russes à une cadence encore plus soutenue qu’aujourd’hui.
En outre, l’Ukraine perdra la possibilité d’utiliser des drones à longue portée grandement utilisés en ce moment, des drones agricoles à l’origine «Baba-Yaga» qui ont une importante capacité de charge utile et un fonctionnement autonome – ils dépendent directement de la navigation satellitaire.
Pour les Ukrainiens, il n’y a aucune alternative au système Starlink. A l’avenir, il peut, potentiellement, être remplacé par le système européen de navigation global par satellite Galileo, mais ceci est impossible à court terme. Par ailleurs, comment le système Galileo se comportera dans les conditions de combat et combien de temps prendra son déploiement et son adaptation – cela reste une inconnue.
Le système de défense aérienne Patriot
Le système de défense aérienne américain Patriot est l’un des meilleurs au monde, même s’il est moins performant que le système russe ZRS S-400 « Triumph ». À l’heure actuelle, il est connu que 6 de ces batteries Patriot protègent les grandes villes ukrainiennes des missiles russes les plus dangereux. Les munitions pour de tels systèmes de défense aérienne ne sont fabriquées qu’aux États-Unis et avec la cessation de livraisons, les forces armées ukrainiennes seront rapidement confrontées à une pénurie de missiles et devront choisir les sites à protéger et ceux à laisser sans défense, comme le note, à juste titre, le Wall Street Journal.
Ainsi, les pays européens devront allouer des fonds supplémentaires et équiper l’Ukraine de systèmes entièrement européens, tels que le franco-italien SAMP/T. Cela étant, à partir du moment de la prise de décision et la signature du contrat, il faut attendre non pas quelques semaines, mais plusieurs années avant le début de la première livraison de missiles. Le consortium européen a promis de réduire le délai à 18 mois, mais ce dernier reste extrêmement long et ne couvre certainement pas la période avant la fin du conflit armé sur le sol ukrainien.
MLR et missiles
Avec la cessation de l’aide militaire américaine, l’armée ukrainienne perd également les missiles guidés pour les lance-roquettes mobiles MLRS à chenilles et les HIMARS à roues. Les États-Unis ont fourni à l’Ukraine deux types de munitions : GMLRS avec la portée allant à 90km et ATACMS avec la portée allant à 300km.
La grande précision et la puissance de l’ogive de la fusée sont complétées par la vitesse de déploiement : le lanceur à roues HIMARS ou le MLRS à chenilles permettent de frapper peu de temps après avoir reçu des informations de reconnaissance.
Le problème est que les GMLRS, contrairement aux obus classiques, ne sont fabriqués qu’aux États-Unis dans les usines de Lockheed Martin. En outre, la grande efficacité démontrée par ces missiles en Ukraine a augmenté la demande du produit sur le marché mondial de l’armement et l’Ukraine avait beaucoup de concurrents pour les acquérir, avant même l’arrêt des livraisons daté de ce 3 mars. Et il n’y a rien pour remplacer ces missiles. Ni quantitativement ni qualitativement, comme l’écrit la BBC. https://www.bbc.com/ukrainian/articles/c70wwn4zzp7o
En ce qui concerne les missiles de croisière européens SCALP/Storm Shadow lancés à partir d’avions – ils ne suffisent guère à remplacer les ATACMS américains.
Il faut comprendre qu’une fois sans artillerie de longue portée et de haute précision et sans les missiles de croisière, les forces armées ukrainiennes ne pourront plus frapper les dépôts d’armes, les dépôts pétroliers, les raffineries, les postes de commandement, les aérodromes et les polygones russes. Les frappes sur ces installations n’ont jamais été critiques, mais ont perturbé quand même la logistique et l’approvisionnement de l’armée Russe. Une fois la livraison de ces missiles à l’Ukraine arrêtée – l’armée russe augmentera son potentiel d’attaque et avancera d’une manière encore plus soutenue.
La grave pénurie d’obus
Dès le début de la guerre et surtout depuis les derniers mois, l’armée ukrainienne connait une importante pénurie d’obus d’artillerie. Le rapport des tirs dans la zone d’affrontement a atteint par endroits 1 à 10 en défaveur de l’Ukraine.
La Russie et ses alliés produisent environ 3 millions de munitions par an et à un prix incomparablement moins élevé qu’en Occident. De leur côté, « les États-Unis et l’Europe n’ont la capacité de produire qu’environ 1,2 million de munitions par an », comme l’indique la CNN https://edition.cnn.com/2024/03/10/politics/russia-artillery-shell-production-us-europe-ukraine/index.html
Un tel rapport de capacité de production est nettement en défaveur des alliés de Kiev et avec l’abandon de la participation par Washington dans l’effort de guerre du côté ukrainien, la situation de ce dernier devient tout à fait catastrophique.
Le principal problème du Vieux continent est dans l’absence quasi totale de capacité de défense. Depuis la guerre froide, l’Europe a vécu sous la protection militaire des États-Unis et les mesures prises par l’Union européenne pour accroître sa puissance militaire n’ont pas encore eu d’effet et n’en n’auront, certainement pas, ni dans le temps couvrant le conflit armé sur le territoire de l’Ukraine, ni dans les années à venir.
Les renseignements
Aujourd’hui, les dirigeants américains ont arrêté les livraisons d’armes et de munitions. Si l’arrêt de l’aide militaire des Etats-Unis influait également la fourniture des renseignements militaires aux forces armées ukrainiennes, ces derniers deviendraient pratiquement aveugles dans leurs actions sur le terrain des opérations.
Le général de l’armée et ancien chef du service de renseignement extérieur de l’Ukraine, Mikola Malomuz, a déclaré à la chaine ukrainienne « Channel 24 » quelles conséquences pourraient entraîner la cessation de l’échange de renseignements entre Washington et Kiev. https://www.youtube.com/watch?v=9txKdNPk1Dw
Selon lui, l’arrêt du transfert des données des renseignements spatiaux, techniques et du réseau d’agents de renseignement sera une immense perte pour l’Ukraine, car les renseignements américains sont beaucoup plus avantageux que ceux même des grands pays européens.
L’insuffisance des aides des alliés européens
Après le désastre de la conférence de presse dans le bureau ovale, l’Ukraine et ses alliés tentent frénétiquement de mettre en place le remplacement d’urgence des armes clés de la production américaine en service dans le pays en guerre, y compris les missiles de défense aérienne.
Hormis les missiles de défense aérienne, Kiev peut obtenir pratiquement tous les autres types d’armes de ses partenaires européens. Néanmoins, les volumes de livraisons ne pourront plus être comparables à ceux d’auparavant, déjà très insuffisants, ce qui sera lourd de conséquences sur les champs de bataille.
Aujourd’hui, la société ukrainienne est dominée par des sentiments de panique en raison de l’inévitabilité de la défaite militaire à venir. Le rejet de l’accord de paix et la rupture des relations avec les États-Unis mettent le pays directement au bord de l’effondrement. Et ce n’est guère la propagande ukraino-européenne grossièrement mensongère sur la cote très élevée de Zelensky auprès de sa population qui pourra avoir le moindre impact sur la fin qui approche à grand pas.
Si Volodimir Zelensky et son proche entourage peuvent compter sur un avenir personnel très confortable entre Londres, Paris, Courchevel et la Côte d’Azur, la population ukrainienne, quant à elle, attend de tristes perspectives. D’une manière imminente, dans la décennie à venir, la société ukrainienne profondément divisée et déchirée par les événements des onze dernières années sera condamnée à vivre sur les ruines économiques, sociales et culturelles du pays rongé par la misère.

Oleg Nesterenko
Président du CCIE (www.c-cie.eu)
(Spécialiste de la Russie, CEI et de l’Afrique subsaharienne,ancien directeur de l’MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris)