
Dans un contexte mondial marqué par la flambée des prix du blé et les perturbations des chaînes d’approvisionnement, le Cameroun prend les devants pour réduire sa dépendance aux importations de céréales. La Chambre de commerce, de l’industrie, des mines et de l’artisanat (Ccima) a lancé une initiative audacieuse : former les boulangers à l’utilisation de la farine de manioc, une ressource locale abondante, pour fabriquer du pain et des pâtisseries. Une trentaine de boulangers ont déjà bénéficié de cette formation innovante, ouvrant la voie à une transformation durable du secteur.
Une réponse stratégique à la crise du blé
Le Cameroun, comme de nombreux pays africains, dépend largement des importations de blé pour répondre à la demande croissante en produits boulangers. Selon les données officielles, plus de 90 % du blé consommé dans le pays est importé, ce qui expose l’économie aux fluctuations des prix internationaux et aux crises géopolitiques. La guerre en Ukraine, principal fournisseur de blé, a exacerbé cette dépendance, poussant les autorités à chercher des alternatives locales.
C’est dans ce contexte que la Ccima a décidé d’agir. « Nous devons tirer parti de nos ressources locales pour garantir notre sécurité alimentaire et réduire notre dépendance aux importations », explique Jean-Louis Nkembi, président de la Ccima. « Le manioc est une culture abondante au Cameroun, et sa transformation en farine offre une opportunité unique de diversifier notre production boulangère. »
Une formation pratique pour les boulangers
La formation, dispensée par des experts en agroalimentaire, vise à enseigner aux boulangers les techniques nécessaires pour incorporer la farine de manioc dans leurs recettes traditionnelles. Les participants apprennent à ajuster les proportions, à maîtriser les temps de cuisson et à optimiser la texture des produits finis. « Au début, j’étais sceptique, mais après avoir suivi la formation, je suis convaincu que la farine de manioc peut compléter, voire remplacer, la farine de blé dans de nombreuses recettes », témoigne Samuel Tchoupo, boulanger à Douala.
Les résultats sont prometteurs : les pains et pâtisseries à base de farine de manioc sont non seulement savoureux, mais aussi plus nutritifs. Le manioc est riche en glucides complexes et en fibres, ce qui en fait une alternative saine et économique. De plus, son utilisation soutient les producteurs locaux et contribue à la relance de l’économie rurale.
Un pas vers l’autosuffisance alimentaire
Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à promouvoir les produits locaux et à renforcer la résilience économique du Cameroun. Le gouvernement encourage déjà la culture du manioc à travers des subventions et des programmes de formation pour les agriculteurs. En 2024, la production nationale de manioc a atteint un record de 6 millions de tonnes, faisant du Cameroun l’un des plus grands producteurs d’Afrique centrale.
« L’objectif est de créer une filière complète, de la production à la transformation, en passant par la commercialisation », précise Martine Ngoa, ministre de l’Agriculture. « La farine de manioc n’est qu’un début. Nous explorons également d’autres alternatives comme la farine de banane plantain et de patate douce. »
Des défis à relever
Malgré son potentiel, l’adoption de la farine de manioc dans la boulangerie camerounaise n’est pas sans défis. Les boulangers doivent s’adapter à de nouvelles techniques de production, et les consommateurs doivent être sensibilisés aux avantages de ces produits. « Il faut du temps pour changer les habitudes alimentaires, mais nous sommes sur la bonne voie », estime Jean-Louis Nkembi.
La Ccima prévoit d’étendre cette formation à d’autres régions du pays et de collaborer avec les grandes chaînes de boulangerie pour accélérer l’adoption de la farine de manioc. Des campagnes de sensibilisation sont également en cours pour informer le public sur les bienfaits nutritionnels et économiques de cette alternative locale.
Une initiative saluée par les experts
Les experts en sécurité alimentaire saluent cette initiative comme un modèle pour d’autres pays africains. « Le Cameroun montre qu’il est possible de réduire la dépendance aux importations en valorisant les ressources locales », affirme Dr. Amina Sarr, spécialiste en agroéconomie. « Cette approche pourrait inspirer d’autres nations confrontées à des défis similaires. »
La formation des boulangers à l’utilisation de la farine de manioc marque un tournant décisif dans la quête d’autosuffisance alimentaire du Cameroun. En combinant innovation, formation et promotion des produits locaux, la Ccima ouvre la voie à une économie plus résiliente et durable. Le pain de manioc pourrait bien devenir le symbole d’une nouvelle ère pour la boulangerie camerounaise.
Emmanuel Ekouli