
La tension monte au sein du ministère de la Justice camerounais. Alors que Laurent Esso, ministre d’État et Garde des Sceaux, a été évacué vers la France pour des raisons de santé, une lutte sourde pour le contrôle des décisions stratégiques du ministère semble s’être engagée. Au cœur de cette controverse, Jean De Dieu Momo, ministre délégué, revendique désormais le droit de prendre les rênes du ministère en l’absence de son supérieur. Une situation qui divise les observateurs et suscite des interrogations sur la gestion des affaires publiques en période de crise.
Une délégation de pouvoir contestée
Avant son départ, Laurent Esso a pris soin de désigner plusieurs cadres de son ministère pour gérer les dossiers les plus sensibles, confiant les affaires moins importantes à Jean De Dieu Momo. Cette décision, apparemment stratégique, n’a pas été du goût du ministre délégué. Selon des sources internes, Momo aurait mal vécu cette répartition des tâches, estimant qu’elle minimisait son rôle et son autorité au sein du ministère.
Cette frustration aurait atteint son paroxysme lors d’une réunion tenue récemment au ministère de la Justice. Selon l’activiste Lionceau du Nnomgui, Jean De Dieu Momo aurait profité de cette occasion pour revendiquer ouvertement le titre de Garde des Sceaux. « Cet après-midi, il me revient que Jean De Dieu Momo a tenu une réunion au ministère de la Justice, revendiquant urbi et orbi la position de Garde des Sceaux », a écrit Lionceau du Nnomgui sur les réseaux sociaux.
L’activiste ajoute que Momo aurait déclaré aux participants : « Je suis le nouveau Garde des Sceaux. Les dossiers qui me sont présentés ne doivent plus être discriminés. » Une déclaration perçue comme un défi direct aux directives laissées par Laurent Esso avant son départ. En effet, ce dernier avait délégué des signatures à certains hauts fonctionnaires pour gérer des dossiers spécifiques, une décision que Momo semble ignorer délibérément.
Une réaction ferme de Jean de Dieu Momo
Face à ces allégations, Jean De Dieu Momo a rapidement réagi. Dans une réponse cinglante à Lionceau du Nnomgui, il a dénoncé une manœuvre visant à le tester et à semer le doute sur sa légitimité. « Pourquoi et qui a donné une information au sujet d’une réunion tenue à huis clos ? Et pourquoi maintenant, alors que le ministre délégué avait déjà donné une réponse claire à Jeune Afrique ? », a-t-il écrit.
Momo a ensuite défendu sa position en invoquant le principe de continuité de l’administration. « Quelle est la personne qui représente une administration lorsque le titulaire est empêché ? Étant donné le principe de la continuité de l’administration, est-ce qu’un tel intérim doit être décidé par un décret présidentiel ou une lettre du Premier ministre ? », a-t-il interrogé.
Il a également justifié sa demande de centralisation des dossiers en arguant que, en tant qu’intérimaire de fait, il est de son devoir de s’assurer que les dossiers importants ne soient pas traités de manière discriminatoire. « Qui est responsable du département en l’absence du titulaire et en présence d’un membre du gouvernement ? », a-t-il conclu, soulignant ainsi sa légitimité à prendre des décisions en l’absence de Laurent Esso.
Une situation qui interroge sur la gouvernance
Cette crise au sein du ministère de la Justice soulève des questions plus larges sur la gouvernance et la gestion des transitions de pouvoir en période d’absence d’un titulaire de poste. La délégation de signature mise en place par Laurent Esso était-elle suffisamment claire pour éviter toute contestation ? Ou bien Jean De Dieu Momo a-t-il raison de revendiquer un rôle plus central, conformément au principe de continuité de l’administration ?
Les observateurs politiques s’interrogent également sur les implications de cette lutte pour l’image du gouvernement. Dans un contexte où la stabilité institutionnelle est cruciale, une telle controverse pourrait affaiblir la crédibilité du ministère de la Justice et, par extension, du gouvernement dans son ensemble.
Alors que Laurent Esso poursuit son traitement à l’étranger, la bataille pour le contrôle du ministère de la Justice semble loin d’être terminée. Jean De Dieu Momo, déterminé à affirmer son autorité, continue de défendre sa position, tandis que ses détracteurs dénoncent une prise de pouvoir illégitime. Cette situation met en lumière les défis liés à la gestion des transitions de pouvoir dans les administrations publiques et soulève des questions sur les mécanismes de délégation en période de crise.
Une chose est sûre : l’absence de Laurent Esso a ouvert une boîte de Pandore au sein du Minjustice, et il faudra toute l’habileté des acteurs concernés pour éviter que cette crise ne dégénère en un conflit ouvert. En attendant, les regards sont tournés vers les plus hautes sphères de l’État, qui devront trancher cette épineuse question de gouvernance.
Emmanuel Ekouli