
Une résolution historique pour la liberté de la presse
Le Parlement européen a frappé un coup dur contre le régime de Paul Biya. Jeudi 3 avril 2025, les eurodéputés ont adopté à l’unanimité une résolution condamnant la persécution systématique des journalistes au Cameroun et exigeant la libération immédiate de cinq professionnels des médias emblématiques : Amadou Vamoulké, Kingsley Fomunyuy Njoka, Mancho Bibixy, Thomas Awah Junior et Tsi Conrad . Ce texte, bien que non contraignant, marque un tournant dans les relations entre l’Union européenne (UE) et Yaoundé, alors que le pays s’apprête à organiser une élection présidentielle controversée en octobre 2025.
Les députés dénoncent une « détérioration alarmante » de la liberté de la presse, soulignant que les journalistes sont régulièrement victimes de détentions arbitraires, de tortures et de procès inéquitables devant des tribunaux militaires – une pratique contraire au droit international . La résolution pointe également l’utilisation abusive d’accusations de « terrorisme » ou de « diffusion de fausses informations » pour museler les voix critiques, notamment celles couvrant la crise dans les régions anglophones .
Amadou Vamoulké, symbole d’un acharnement judiciaire

Parmi les cas emblématiques, celui d’Amadou Vamoulké, ancien directeur de la radiodiffusion publique camerounaise, cristallise les inquiétudes. Emprisonné depuis 2016 et condamné à 32 ans de prison pour des allégations de détournement de fonds, son état de santé se dégrade en détention, selon Reporters sans frontières . Les eurodéputés dénoncent un « procès inique », marqué par 178 reports d’audience et l’absence de preuves tangibles .



Les quatre autres journalistes ciblés par la résolution – Kingsley Fomunyuy Njoka, Mancho Bibixy, Thomas Awah Junior et Tsi Conrad – sont accusés de « subversion » pour avoir couvert les exactions commises dans les régions anglophones, en proie à un conflit armé depuis 2016. Leur détention, souvent dans des conditions inhumaines, illustre la répression croissante contre les médias indépendants .
L’UE brandit la menace économique
Avec cette résolution, l’UE hausse le ton : elle exige que ses États membres utilisent leur « influence diplomatique et économique » pour obtenir des résultats concrets . Une mise en garde d’autant plus sérieuse que l’UE est le premier partenaire commercial du Cameroun, avec des échanges bilatéraux évalués à 3,2 milliards d’euros en 2024 . Les députés réclament également des sanctions ciblées, comme le gel d’avoirs ou des restrictions de visas pour les responsables de ces violations .
En parallèle, le texte préconise des mesures de protection : observation internationale des procès, soutien aux journalistes en exil via des visas humanitaires, et un renforcement des missions onusiennes sur place . « L’UE ne peut rester silencieuse face à l’étouffement méthodique de la démocratie », a déclaré Hannah Neumann, eurodéputée écologiste et rapporteuse du texte.
Un contexte sécuritaire explosif
La résolution s’inscrit dans un contexte de tensions accrues. Depuis 2016, les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont le théâtre d’un conflit meurtrier entre séparatistes et forces gouvernementales, ayant fait plus de 6 000 morts et déplacé un million de personnes . Les journalistes qui documentent les exactions – bombardements de villages, tortures, exécutions extrajudiciaires – paient le prix fort. Martinez Zogo, retrouvé mort en 2023 après avoir dénoncé la corruption, et Samuel Wazizi, décédé en détention en 2019, rappellent les risques encourus .
Les autorités camerounaises, elles, justifient ces mesures par la « lutte contre le terrorisme ». Une rhétorique dénoncée par l’ONU, qui a documenté en 2024 des centaines de cas de détentions arbitraires et de recours excessif à la force .
Silence radio à Yaoundé
À l’heure actuelle, le gouvernement camerounais n’a pas réagi officiellement à la résolution. Une source diplomatique européenne confie sous anonymat que « les canaux de dialogue sont au point mort » depuis l’expulsion de plusieurs ambassadeurs en 2024 . Sur les réseaux sociaux, les réactions sont polarisées : certains saluent une « pression nécessaire », d’autres dénoncent une « ingérence néocoloniale » .
Du côté des organisations locales, l’espoir persiste. « Cette résolution est une bouffée d’oxygène pour nos collègues emprisonnés », affirme Alice Nkom, avocate des droits humains. Reste à voir si les mots se mueront en actes – et si l’UE osera user de son pouvoir économique pour briser l’omerta.
Épilogue : une présidentielle sous surveillance
Alors que Paul Biya, 92 ans, pourrait briguer un nouveau mandat en octobre, cette résolution place la liberté de la presse au cœur des enjeux électoraux. L’UE a déjà annoncé qu’elle conditionnerait son soutien logistique à des garanties concrètes pour les médias. Un ultimatum qui pourrait faire trembler Yaoundé – ou au contraire, radicaliser sa répression.
Emmanuel Ekouli