
L’énergie est au cœur du développement de chaque pays du monde notamment sur le continent africain et singulièrement dans un pays comme le Cameroun où les délestages sont des freins majeurs au progrès. Le docteur-ingénieur en génie nucléaire Vincent Nkong-Njock qui a travaillé au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et comme haut fonctionnaire à l’Agence internationale de l’énergie atomique(AIEA) à Vienne en Autriche a développé une expertise incontestable et reconnue à travers le monde dans le domaine de l’énergie. Il est le président-directeur général de l’entreprise ILEMEL SA dans le domaine de l’énergie opérant au Sénégal et au Cameroun. Il a accepté de répondre à nos questions à Paris. Voici la quintessence de notre entretien.
Bonjour Vincent Nkong-Njock, c’est un plaisir de vous rencontrer pour une interview compte tenu de votre expertise, notamment dans le domaine de l’énergie nucléaire mais aussi de vos idées novatrices pour le développement de l’Afrique. Tout d’abord, qui est M. Vincent Nkong-Njock?
Bonjour et merci beaucoup. On m’identifie comme scientifique mais moi je me considère davantage comme un acteur de développement qui travaille sur un certain nombre de domaines et de thèmes ayant pour base l’énergie au cœur du développement. L’industrialisation est un maillon important du développement de l’Afrique d’une manière générale notamment pour un pays comme le Cameroun. Cette industrialisation passe nécessairement par la transformation. Pour cela, il faut développer des stratégies pour la transformation et c’est cela qui va créer des richesses.
À travers votre parcours académique et professionnel notamment à l’Institut national polytechnique de Grenoble mais aussi à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires, vous avez soutenu un diplôme d’ingénieur et une thèse de doctorat en ingénierie nucléaire. Ensuite, vous avez été sur le plan professionnel ingénieur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique(CEA) et haut fonctionnaire de l’Agence internationale de l’énergie atomique(AIEA) à Vienne en Autriche. Votre parcours est élogieux et comment est venu pour l’Africain que vous êtes, l’intérêt majeur pour la physique nucléaire qui est un domaine hautement complexe ?
Vous savez, je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. Par ailleurs, je suis quelqu’un qui sait saisir les opportunités. Je crois qu’à cette époque, ce qui m’animait, c’était d’avoir la capacité de pouvoir m’imposer dans le système européen. À l’époque, au début des années 1980, je voyais déjà certains de nos frères qui avaient fait des diplômes en France et ne trouvaient pas un emploi. Moi j’étais dans la logique d’être sur le marché de l’emploi aussitôt après la fin de mes études. Pour cela, étudier dans le domaine du nucléaire était une opportunité pour moi de pouvoir m’assurer que j’aurais un emploi sans avoir à aller chercher. Mais je dirais aussi qu’en réalité, c’était un défi. En effet, je me retrouvais avec deux de mes amis, nous étions à Nancy et nous discutions de tout et de rien. Puis nous parlons du nucléaire. Et ensuite, c’était des rires non pas tout simplement une moquerie mais il y avait aussi de l’étonnement dans la réaction. En effet, les deux amis voyaient que c’était impossible d’effectuer des études dans le génie nucléaire en France parce qu’ il y a une seule école au pays qui donne la formation en ingénierie nucléaire à savoir l’Institut national des Sciences et techniques nucléaires qui a formé des ingénieurs en énergie atomique en France ou les spécialistes français du génie nucléaire. Il n’y a pas deux écoles en dehors de celle-là. On peut avoir un doctorat en physique nucléaire mais en énergie nucléaire, il n’y a que cette école. Il n’y avait aucune chance qu’un Camerounais avec un passeport vert entre dans cette école. Heureusement, j’avais pu entrer dans cette école.
C’était une fierté pour le Cameroun et l’Afrique bien évidemment. N’est-ce pas?
C’était une opportunité. Il y a certainement beaucoup de conditions qui ont favorisé cela à cette époque. Il faut savoir que la situation dans le domaine du nucléaire dans le monde avait déjà évolué d’une certaine manière et des gens réfléchis voyaient déjà que le nucléaire pouvait s’intégrer avec les pays africains. Ce n’était donc pas un frein pour quelqu’un comme moi d’effectuer des études dans le domaine nucléaire.
En ce moment où l’actualité géopolitique est assez dense et s’intéresse de plus en plus au nucléaire pour la sécurité des États, notamment en Europe face l’arsenal nucléaire russe, le désengagement de l’administration Trump comme parapluie nucléaire des États européens au sein de l’Otan en dehors de la France et du Royaume-Uni qui possèdent la bombe atomique, les Africains ne devraient-ils pas s’approprier cette technologie également aussi bien dans le domaine civil que dissuasif donc militaire dans les prochaines années?
En tant qu’Africain et souverainiste, je dirais pourquoi pas parce que l’arme nucléaire est une arme pour la paix. L’arme nucléaire est une arme qui permet de jauger les capacités de chacun et se mettre dans une position respectable où on se signe quasiment un pacte de non-agression parce qu’on sait que l’un comme l’autre est capable de détruire celui qui est face. Donc à cet égard, je dirais pourquoi pas. Mais il est à noter aussi que c’est quand même une technologie qui est assez onéreuse. Est-ce que aujourd’hui, entre le Camerounais qui veut manger et le Camerounais qui veut se défendre, qu’est-ce qui serait le plus intéressant et important? Si je dois répondre à la place du Camerounais, je dirai que le Camerounais veut manger. Dès lors, je ne ferai pas le choix de se lancer dans le nucléaire par rapport aux besoins primaires et essentiels de la vie. Ensuite, le système international aujourd’hui empêche fortement et dans un monde mondialisé, il vaut mieux se faire des amis pour parler dans le langage diplomatique parce qu’il ne s’agit pas de l’amitié fraternelle entre un frère et une sœur. L’amitié dans le langage diplomatique qui n’empêche de ne suivre que ses intérêts. Dans le monde actuel, il vaut mieux d’avoir que des amis autour de nous au lieu d’avoir devant nous des gens qui vont nous donner d’innombrables conditions qui vont rendre encore difficile la vie des Camerounais.

Vous êtes passé du nucléaire à l’énergie solaire parce que vous avez fondé l’entreprise ILEMEL S A à Dakar au Sénégal. Comment est né votre intérêt pour l’énergie solaire et pourquoi le choix d’installer d’abord l’entreprise à Dakar au lieu du Cameroun, votre pays d’origine par exemple?
Vous savez dans la vie, il est important de saisir les opportunités. Les opportunités m’ont poussé en 2015 au moment où je rentrais en Afrique de commencer par Dakar pour évoluer vers le Cameroun. Je dirais aussi comme un bon Camerounais qu’avant d’entrer dans le chaudron, il fallait aussi aller se chauffer ailleurs parce que le Cameroun est un grand apprentissage malgré mon expérience du pays aujourd’hui. Quand je fais des échanges avec certaines personnes de la diaspora au sujet du Cameroun, je rappelle toujours que le Cameroun, ce n’est pas ce que vous croyez après un séjour de deux semaines ou d’un mois au pays. Il fallait me tropicaliser avant parce que pour moi, tout défi peut se transformer en opportunité. Si je suis d’abord allé au Sénégal, c’est parce que j’avais rencontré quelques difficultés pour le Cameroun mais aujourd’hui, j’ai compris que c’était le cheminement normal qui me permettait d’avoir une base et aussi en même temps d’avoir un point de vue qui me permettait de pouvoir aller au Cameroun pour être sûr que j’allais réussir. Je crois que c’était le meilleur cheminement pour moi qui m’a permis de m’installer définitivement au Cameroun.
Depuis que vous êtes installé en Afrique, est-ce que vous avez la satisfaction?
Oui je crois être satisfait! En effet, quand on quitte son pays pour aller étudier à l’étranger, nous avons pour objectif de rentrer à la fin de ses études. Il y a certains d’entre nous qui sont rentrés aussitôt après la fin de leurs études. Il y a d’autres comme nous qui avons pris le temps d’avoir une certaine expérience mais aussi élever nos enfants et réaliser certaines choses avant d’envisager le retour en Afrique, notamment au Cameroun parce que n’avions pas sur place des bases nécessaires qui pouvaient être des points de propulsion pour nous. Vous avez posé une question avant par rapport à l’énergie, moi j’ai été dans le nucléaire qui est une énergie de masse qui permet un développement industriel. Mais le problème de l’Afrique est différent. L’Afrique a deux problèmes qui vont en parallèle et il est important d’avoir une approche bicéphale. En effet, nous avons une très grande population en Afrique qui vit sans électricité donc de manière très difficile. Et l’autre côté , nous avons une industrie balbutiante qui peine à se développer parce qu’il y a énormément de problèmes énergétiques. Moi je me suis dit que pour mieux apporter la prospérité, le bien-être, les énergies renouvelables sont un atout pour nous, notamment l’énergie solaire pour pouvoir électrifier les villages reculés, etc. D’autre part, il est important d’avoir des systèmes énergétiques qui produisent une énergie à bas coût pour faire en sorte que le système industriel puisse se développer convenablement. Il n’y a donc aucune contradiction entre faire dans l’énergie solaire ou l’énergie nucléaire. Par ailleurs, par rapport à la technologie, tous les deux systèmes énergétiques ont besoin d’absorber la technologie pour être dans un développement durable.
Prenons le cas du Cameroun, il y a beaucoup de délestage au pays pourtant nous avons plusieurs barrages hydroélectriques. D’après vous et compte tenu de votre expertise, comment pouvons résoudre le problème des délestages au Cameroun?
Le problème du Cameroun, c’est la stratégie. En effet, au Cameroun, on réagit malheureusement pour la plupart du temps pour régler les problèmes. En réalité, le problème énergétique ne se règle pas au présent. Le problème énergétique se règle par anticipation. Aujourd’hui, il faut reformer le problème énergétique camerounais pour lui donner la capacité de pouvoir progresser. En effet, par rapport aux intérêts des uns et des autres, on nous apporte des solutions qui ne sont profitables que pour ceux qui les portent. Aujourd’hui, si vous allez au Cameroun et que vous proposez la construction d’une centrale hydroélectrique pour augmenter la production, tout le monde sera d’accord sauf que malgré cette construction, les populations n’auront pas d’électricité. Un autre responsable viendra ensuite dire que c’est parce qu’on a pas le réseau, dès qu’on va régler le problème du transport d’énergie, tout sera résolu et finalement aussi, il y a toujours des problèmes d’électricité. Puis, une troisième personne viendra ensuite et dira que le véritable problème, c’est la distribution. Ce dernier va densifier le réseau malgré cela il y aura toujours les problèmes de délestage. Pourtant, on a résolu les trois problèmes à savoir la production, le transport et la distribution d’énergie. Vous savez pourquoi il y a toujours les problèmes, c’est parce que la qualité des équipements n’est pas maîtrisée . En effet, certains poteaux en bois sont tombés entre temps et les transformateurs sont dans un mauvais état ou alors ils ont explosé au bout d’un certain temps. Pendant le temps qu’on prendra pour réparer ces transformateurs, les populations sont sans électricité pendant quelques semaines. Pour ma part, ce qu’il y a lieu de faire, c’est avoir une stratégie pour régler ce problème. Il faut tout d’abord la réglementation, ensuite le système des achats du matériel puis les compétences dans le domaine donc la formation. Notre système d’achat aujourd’hui, est-ce qu’on doit acheter le matériel n’importe comment autant qu’on achète ce que nous voulons au marché lorsqu’il s’agit des denrées alimentaires ou alors les appels d’offre doivent fonctionner de la même manière? Tout cela, la réponse est non. La qualité des équipements, quel est le niveau de qualité que nous allons mettre dans nos équipements? Quels sont les normes que nous allons utiliser de telle manière que si nous devons acheter les équipements en Indonésie ou ailleurs, nous pouvons s’assurer du respect des normes que nous avons d’une certaine manière? Qu’est-ce que le gouvernement va prendre de notre système énergétique pour nous permettre de pouvoir apporter par exemple de l’électricité aux zones les plus reculées du pays? Tout cela doit se regarder de manière uniforme ou intégré. Pour cela, il faut faire une organisation qui permet ce développement. Aujourd’hui, on a un concessionnaire ENEO, une société EDC et une Agence d’électrification rurale. Est-ce que tout cela est nécessaire? C’est des questions que nous devons nous poser? Nous avons un organisme de transport d’énergie qui est nécessaire parce qu’il est étatique. Nous avons un organisme de réglementation. Est-ce que cet organisme de réglementation a une masse critique appropriée? Comment nous pouvons avoir un organisme de réglementation en électricité, en pétrole et gaz ? Pourtant, nous parlons d’énergie. Un seul organisme de réglementation en énergie était largement suffisant. L’avantage serait de réduire les charges de l’État. On aurait pas 3 ou 4 directeurs généraux aujourd’hui avec tout ce que cela comporte d’un État qui n’a pas les moyens et pourtant tout ce monde fait exactement le même métier et ils sont tous dans le domaine énergétique. Ils ont tous quasiment la même vision et utilisent presque la même réglementation. D’où aujourd’hui, on a jamais réfléchi comment coordonner et gérer l’énergie de manière intégrée. Pour ceux qui ne sont pas dans le nucléaire, il y a des considérations bien énumérées. En effet, il y a à peu près 13 considérations bien énumérées, bien définies et bien développées sur lesquelles nous devons se baser pour faire en sorte que le système énergétique soit saint. J’ai vu cela être fait dans un pays comme le Sénégal en très peu de temps et aujourd’hui on parle des délestages au passé parce que les gens ont compris qu’il faut essayer de faire les choses d’une certaine manière. Je ne dis pas que c’est très bien, je ne dis pas que c’est parfait. Je dis simplement qu’ils ont essayé de regarder les choses d’une certaine manière et cela leurs a permis d’être là aujourd’hui. Je parle du contenu local, aujourd’hui, on va se retrouver avec des centrales à fioul lourd ou à gaz qui n’ont pas de combustible. Pourtant, nous sommes un pays producteur de pétrole et de gaz. Comment cela peut-il s’expliquer? Par ailleurs, à certains moments, c’est l’État qui doit fournir ce combustible. Comment sommes-nous arrivés là? Tant qu’on n’a pas développé une stratégie globale, chacun viendra avec de petites solutions qui profiteront aux uns et aux autres mais qui ne profiteront pas à la nation.

Vincent Nkong-Njock, docteur-ingénieur en génie nucléaire et Pdg de ILEMEL SA
Nous disons généralement que la première ressource du développement est la ressource humaine. Avec une telle expertise, pourquoi le Cameroun ne recherche pas votre compétence en énergie et est-ce que vous n’aviez jamais été sollicité par le Cameroun?
Je dirai que le Cameroun a une importante ressource humaine et certainement qu’elle est compétente pour travailler dans le domaine énergétique. Le problème est de savoir si ces ressources-là sont utilisées? Je me dis peut-être pas. Est-ce qu’on donne la possibilité à ces ressources humaines d’être utiles? En ce qui me concerne, je répondrais non. Je suis plus sollicité dans d’autres pays, surtout en Afrique de l’ouest qu’au Cameroun. Je crois avoir été sollicité une fois seulement. Je suis parti plusieurs fois au pays pour essayer d’offrir mes services par rapport à la réflexion quand j’avais encore une certaine naïveté de penser que ceux je rencontrais œuvraient pour le développement du Cameroun. Je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas. Finalement, je ne l’ai jamais fait. Par contre, je suis davantage sollicité ailleurs comme au Sénégal. On avait jugé à un moment donné que ce qui se faisait au Sénégal par exemple était bien. Je suis venu au Cameroun, j’ai payé mon billet d’avion et mon hébergement, j’ai rencontré certaines personnes pour échanger sur le sujet. Ensuite, j’ai rédigé un rapport mais curieusement je n’ai jamais reçu d’accusé de réception
Propos recueillis par Ferdinand MAYEGA à Paris