
Alors que CAMRAIL annonce le lancement d’une vaste campagne de sensibilisation pour “renforcer la sécurité ferroviaire”, les chiffres rappellent une réalité brutale : en 2024, 266 incidents ont émaillé le réseau, dont 16 collisions, 22 cambriolages et 23 actes de sabotage. Pis, les trois premiers mois de 2025 ont déjà enregistré 77 événements liés à l’incivisme, dont trois collisions aux conséquences matérielles lourdes. Dans ce contexte, l’initiative de la filiale d’Africa Global Logistics, bien que nécessaire, interroge : des spots radio en langues locales suffiront-ils à endiguer un phénomène qui relève autant de la criminalité organisée que de la négligence collective ?
Un constat accablant, une réponse en demi-teinte
La communication de CAMRAIL met en avant une campagne “inclusive”, diffusée dans sept langues nationales via 11 radios, dont la CRTV. Mais sur le terrain, les riverains du rail dénoncent depuis des années l’absence de barrières physiques, la vétusté des signalisations, et le manque de patrouilles le long des voies. “On nous parle de sensibilisation, mais comment expliquer qu’un train puisse percuter un véhicule ou un piéton à un passage à niveau non gardé ?”, s’insurge un habitant de Nkongsamba, où deux accidents mortels ont été recensés en 2024.
Le directeur général Joel Hounsinou affirme vouloir “travailler main dans la main avec les communautés”. Pourtant, malgré les rencontres avec les chefs traditionnels et les sous-préfets de Yaoundé, les actes de sabotage (déraillement volontaire, vol de câbles) persistent. Preuve que le problème dépasse la simple “incivilité” : il s’agit d’un business juteux pour des réseaux organisés, souvent liés au trafic de métaux.
Investissement sécuritaire : l’État et CAMRAIL à la traîne
Avec 12 milliards de FCFA investis annuellement, CAMRAIL se targue de son rôle dans le développement économique. Mais quelle part est réellement consacrée à la sécurité ? L’entreprise ne détaille pas ses dépenses en la matière, alors que des pays comme le Maroc ou l’Afrique du Sud ont modernisé leurs réseaux avec des drones, des clôtures intelligentes et des pénalités dissuasives pour les vandales.
L’État camerounais, lui, semble absent du dossier. Alors que CAMRAIL reverse 5 milliards de FCFA par an en taxes, aucune loi récente ne renforce la protection des infrastructures ferroviaires, pourtant classées “stratégiques”. Résultat : les sanctions restent dérisoires face aux gangs qui revendent le cuivre des câbles au marché noir.
Urgence : passer de la communication à l’action
Si la sensibilisation est utile, elle doit s’accompagner de mesures radicales :
- Des infrastructures sécurisées : clôturer les tronçons critiques, installer des caméras et des alarmes.
- Une répression implacable : collaborer avec la gendarmerie pour démanteler les réseaux de vandalisme.
- Un cadre juridique renforcé : alourdir les peines pour sabotage ferroviaire, comme au Sénégal où les auteurs risquent 10 ans de prison.
Joel Hounsinou a raison de dire que “la sécurité est une priorité absolue”. Mais tant que CAMRAIL et les pouvoirs publics camerounais privilégieront les discours aux actes, le rail restera une passoire. Le temps n’est plus aux spots radio, mais aux barrières en acier et aux interpellations musclées. La vie des usagers et l’économie du pays en dépendent.
En 2023, un rapport de la Banque mondiale pointait le “retard alarmant” du Cameroun en matière de sécurité ferroviaire. Deux ans plus tard, le bilan s’alourdit. La campagne de CAMRAIL est un premier pas, mais le réseau a besoin d’une révolution, pas d’un slogan.
Emmanuel Ekouli