Depuis quelques mois, le Cameroun a entamé l’exploitation du gisement de fer de Grand-Zambi, situé dans la région du Sud. Avec déjà 600 000 tonnes de minerai brut stockées, ce projet, présenté comme un pilier de l’industrialisation du pays, soulève autant d’espoirs que d’interrogations. Si les autorités vantent une manne économique et une diversification du secteur minier, les défis logistiques, environnementaux et sociaux pourraient tempérer l’enthousiasme.

Une opportunité économique sous contraintes logistiques
Le gisement de Grand-Zambi, dont les réserves sont estimées à plusieurs centaines de millions de tonnes, représente un levier stratégique pour le Cameroun, qui cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures. La construction d’une unité d’enrichissement du minerai, annoncée pour mai 2025, promet de transformer la matière première sur place, évitant ainsi l’exportation de minerai brut – une pratique souvent critiquée pour son faible rendement économique.

Cependant, la réussite du projet dépend d’une chaîne logistique encore fragile. L’exportation du minerai transformé repose sur le port en eau profonde de Kribi, présenté comme un atout majeur. Problème : ce port, pourtant opérationnel, ne dispose pas de terminal minéralier spécialisé. Un handicap de taille, selon les experts. « Sans infrastructure adaptée, les coûts de manutention risquent d’exploser, et les délais de chargement de s’allonger », alerte un ingénieur portuaire sous couvert d’anonymat. Les autorités assurent que des solutions temporaires seront mises en place, mais les acteurs du secteur redoutent des retards et des surcoûts qui pourraient grever la rentabilité du projet.

Enjeux environnementaux : entre exploitation et préservation
L’exploitation du fer à Grand-Zambi s’inscrit dans un contexte africain où les projets miniers sont de plus en plus scrutés pour leur impact écologique. La phase d’extraction intensive, déjà engagée, suscite des craintes quant à la déforestation et à la pollution des sols et des cours d’eau. La région, riche en biodiversité, abrite des écosystèmes sensibles, notamment des forêts tropicales et des zones agricoles.

Les promoteurs du projet mettent en avant des « normes environnementales strictes » et la future unité d’enrichissement, censée réduire les déchets grâce à des technologies modernes. Mais sur le terrain, les observateurs pointent un manque de transparence. « Les études d’impact environnemental n’ont pas été rendues publiques dans leur intégralité. Comment garantir le respect des engagements ? », interroge un militant écologiste local. La gestion des 600 000 tonnes de minerai déjà stockées – potentiellement génératrices de poussières toxiques ou de ruissellements polluants en cas de pluie – ajoute aux inquiétudes.

Développement local : des retombées en demi-teinte
Sur le plan social, le projet est présenté comme un vecteur d’emplois et de développement pour les communautés riveraines. Selon le gouvernement, près de 2 000 emplois directs et indirects seront créés d’ici 2025. Pourtant, les populations locales expriment un scepticisme nourri par des expériences passées. « On nous parle toujours de retombées, mais une fois les ressources extraites, il ne reste que des terres dégradées et des promesses non tenues », déplore un habitant de la région de Kribi.

La question foncière cristallise également les tensions. L’extension des sites d’extraction et de stockage a entraîné des expropriations, souvent compensées par des indemnisations jugées insuffisantes. « Les terres agricoles sont grignotées, et les jeunes préfèrent travailler dans la mine plutôt que de cultiver. Cela menace notre sécurité alimentaire », explique une représentante d’une coopérative agricole.

Un test pour la gouvernance minière camerounaise
Ce projet est un test pour le Cameroun, qui cherche à positionner son secteur minier comme un moteur de croissance. Le pays a révisé en 2016 son code minier pour attirer les investisseurs, mais les défis persistent : corruption, lourdeurs administratives et manque d’infrastructures. La réussite de Grand-Zambi dépendra aussi de la capacité des autorités à équilibrer intérêts économiques et protection des populations.

Pour l’heure, le calendrier serré – transformation prévue en 2025 – laisse peu de place aux aléas. Les retards dans la construction de l’unité d’enrichissement ou les problèmes portuaires pourraient reporter les bénéfices escomptés. Par ailleurs, l’envolée des coûts des matières premières et les incertitudes sur les cours mondiaux du fer ajoutent un risque économique.

Un pari à haut risque
L’exploitation du fer de Grand-Zambi incarne les espoirs d’un Cameroun en quête d’émergence, mais elle illustre aussi les écueils classiques des projets miniers en Afrique. Entre optimisme des chiffres et réalité du terrain, le pays devra concilier rapidité d’exécution et durabilité. La suite montrera si ce projet deviendra un modèle ou un nouvel exemple des « malédictions des ressources » trop souvent associées au continent.

Emmanuel Ekouli

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