L’audience du 8 mai 2025 dans le litige opposant l’élu Léon Theiller Onana au Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) a une fois de plus exposé les fractures d’une justice camerounaise accusée de servir des intérêts politiques plutôt que l’équité. Les manœuvres observées lors de cette séance, marquée par des irrégularités procédurales et des interrogations sur l’impartialité du juge, relancent le débat sur l’indépendance du système judiciaire dans un contexte où le parti au pouvoir, dirigé de fait par Paul Biya depuis près de quatre décennies, semble dicter sa loi.

Une audience sous le signe de l’arbitraire
Dès l’ouverture de l’audience, la stratégie dilatoire des avocats du RDPC a été mise en lumière. Ces derniers, censés représenter le parti, n’ont pas pu produire le mandat signé par le « président national » du RDPC autorisant formellement le Secrétaire Général à agir en justice. Une omission grave, soulignée par l’avocat de Léon Theiller Onana, Me Issa Abdouraman, qui a demandé au juge des référés de constater le « défaut de représentation légale du RDPC » et de prononcer un jugement par défaut.

Pourtant, loin de sanctionner cette carence, le magistrat a semblé orienter le débat vers des questions détournées. Interrogeant l’avocat de M. Onana sur la durée du mandat présidentiel statutaire du RDPC — « Montrez-moi où il est écrit dans les statuts que le mandat est de cinq ans ? » —, le juge a évité d’aborder le cœur du litige : l’illégalité présumée de la légitimité de Paul Biya, dont le dernier congrès ordinaire du parti remonte à septembre 2016.

À cette question jugée « tendancieuse » par la défense de M. Onana, son avocat a rétorqué en demandant au juge d’interroger la partie adverse sur la « clause statutaire faisant du président national un dirigeant à vie ». Une requête rejetée en bloc, révélant selon les observateurs un « parti pris évident » en faveur du RDPC.

Violations procédurales : Le juge face à ses contradictions
L’article 97, alinéa 4, du code de procédure civile camerounais stipule pourtant qu’une fin de non-recevoir — une exception visant à faire déclarer une demande irrecevable — doit être traitée « par une décision séparée de celle du fond ». Or, le juge a refusé de statuer préalablement sur le défaut de qualité du RDPC à agir en justice, malgré les arguments juridiques avancés.

« Cette décision est un contournement flagrant de la procédure », dénonce Me Gueyo KAMGA Guy Léonard. « Comment débattre avec une entité dont la représentation légale n’est pas établie ? La Constitution garantit à M. Onana le droit de ne pas être soumis à un tel arbitraire. »

Pour les soutiens de Léon Theiller Onana, cette séquence illustre une instrumentalisation systémique de la justice par le camp Biya, accusé de confisquer le RDPC et de verrouiller les institutions. « Le juge est devenu un acteur politique. Son refus d’appliquer la loi traduit une pression venue d’en haut », analyse un militant présent dans la salle.

Une justice au service d’une « gérontocratie » ?
Le report de l’audience au 29 mai 2025, officiellement pour « communication au ministère public », est perçu comme une nouvelle manœuvre pour étouffer le dossier. Léon Theiller Onana, figure montante des « progressistes » au sein du RDPC, y voit la preuve d’un système « sclérosé » où une minorité vieillissante tente de « perpétuer son emprise ».

« Ces pratiques indignes d’un État de droit doivent cesser », a-t-il déclaré après l’audience. « Le RDPC appartient à ses militants, pas à une poignée d’individus qui méprisent leurs propres statuts. » Il a également annoncé un projet de « refondation du parti », promettant de défendre sa vision lors des prochaines échéances électorales.

Un enjeu qui dépasse le cadre partisan
Au-delà de la bataille interne au RDPC, cette affire pose une question fondamentale : celle de l’indépendance de la justice dans un pays classé 133ᵉ sur 140 par l’Indice de l’État de droit 2023. Les propos du juge, son refus de se conformer au code de procédure et l’impunité dont bénéficie le RDPC alimentent un climat de défiance populaire.

« Le juge tient entre ses mains l’avenir de millions de Camerounais », a rappelé M. Onana, appelant le magistrat à « appliquer la loi avec rigueur ». Dans un message adressé à Paul Biya, il l’a exhorté à « prendre ses responsabilités » et à mettre fin aux « pressions sur les juges ».

Un combat pour la crédibilité institutionnelle
Alors que le Cameroun traverse une crise politique latente, l’issue de ce litige sera un test pour la crédibilité de ses institutions. Si la décision du 29 mai confirme les craintes d’une justice aux ordres, elle risque d’approfondir le fossé entre un pouvoir accusé d’autoritarisme et une jeunesse en quête de renouveau.

Comme le résume un analyste juridique sous couvert d’anonymat : « Quand un juge ignore la procédure pour servir un régime, c’est tout l’édifice démocratique qui vacille. Le Camerounais lambda ne croit plus en la justice. C’est cela, le vrai drame. »

La prochaine prise de parole de Léon Theiller Onana, annoncée avant le 29 mai, s’annonce décisive. Entre espoir de réforme et crainte d’une répression accrue, le Cameroun retient son souffle.

Emmanuel Ekouli

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