Le professeur Édouard Bokagné, dans un élan de lucidité patriotique rarissime, nous gratifie d’une révélation : le MRC serait un danger pour la République. Non pas pour ses idées, qu’il serait encore possible de discuter, mais pour son existence même. Et dans la grande tradition des penseurs soucieux de l’ordre, la seule solution serait, évidemment, la dissolution.

Car voyez-vous, quand un parti politique, fût-il maladroit, trop véhément ou stratégiquement suicidaire, persiste à revendiquer des élections justes, une alternance crédible, ou pire, un nouveau code électoral, c’est qu’il est mûr pour l’exorcisme. Pardon, pour l’interdiction.

Le MRC ? Une “secte communautaire”, dit-on. Il serait porté à bout de bras par un peuple qui, crime suprême, semble encore croire à son chef, même après son exil politique décrété unilatéralement par le professeur Bokagné. Et cela, dans une démocratie qui respecte scrupuleusement ses règles (surtout quand elles changent selon les têtes), est totalement inacceptable.

Faisons donc le décompte : contestation électorale ? Anathème. Boycott ? Sacrilège. Initiative populaire de solidarité pendant le Covid ? Blasphème économique. Refus de la résignation ? Crime contre la tranquillité de l’ordre établi. À ce stade, la seule chose qui manque à Maurice Kamto, c’est une déclaration d’allégeance posthume pour avoir droit à l’indulgence républicaine.

Mais le professeur est magnanime. Il ne condamne pas tout un peuple. Non, il précise bien : “ce n’est pas la communauté bamiléké qu’il faut viser, seulement l’extrémisme”. Ouf ! Nous voici rassurés : ce n’est pas de la stigmatisation, juste un diagnostic géo-ethno-stratégico-politique. On reconnaît là l’élégance du langage scientifique.

Finalement, le vrai problème, ce n’est pas le MRC. Ce n’est pas même Kamto. C’est l’idée, dangereuse et subversive, que l’on puisse rêver d’un autre avenir politique que celui patiemment tricoté depuis quarante ans. Dissoudre un parti, c’est peu. Il faudrait aussi dissoudre l’espérance, l’aspiration au changement, la colère sourde, la foi naïve en une démocratie réelle.

Car, à bien y penser, la seule opposition acceptable dans notre belle République de Scandalousie, c’est celle qui ne dérange pas. Celle qui chante l’unité entre deux refus de visa. Celle qui salue le Chef avant d’oser parler. Celle qui, surtout, ne se prend pas au sérieux.

Mais puisqu’on parle de dissolution, une question me taraude : le Pr Bokagné, si prompt à déceler les dérives et les dangers dans le discours du MRC, ne s’est-il jamais interrogé sur les multiples appels à candidatures pour un nonagénaire qui gouverne le Cameroun depuis une autre époque ? Ce long bail présidentiel ne l’indispose-t-il pas ? Ce chapelet d’organisations fantomatiques qui chantent:  «Pooooool Biyaaaa, oooooyééé! Paul Biya notre candidat naturel » en boucle, année après année, ne méritait-il pas, lui aussi, une humeur quotidienne? Un soupçon d’indignation universitaire? Une ligne de mépris ? Ou bien la dissolution n’est-elle à envisager que pour ceux qui n’applaudissent pas dans le bon sens?

Alors oui, Monsieur le Professeur, vous avez raison : dissolvons ! Mais dissolvons tout d’un coup : la démocratie vivante, le débat d’idées, les rêves d’alternance. Et tant qu’on y est, dissolvons le peuple aussi, puisqu’il a le mauvais goût de ne pas penser comme il faut.

Par Chacot Chimé

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