
Une démarche historique pour briser l’impunité et obtenir justice
Reporters sans frontières (RSF) intensifie son combat pour la justice en déposant officiellement des demandes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) afin que les journalistes palestiniens, ciblés par les frappes israéliennes à Gaza, puissent pleinement participer aux enquêtes en cours. L’organisation exige que ces professionnels des médias, souvent réduits au silence par la violence, soient reconnus comme victimes à part entière dans les procédures judiciaires internationales.
Un statut crucial pour la reconnaissance des crimes
Depuis octobre 2023, RSF a déjà déposé quatre plaintes devant la CPI pour crimes de guerre contre des journalistes à Gaza. Aujourd’hui, l’organisation franchit une nouvelle étape en soumettant plusieurs formulaires de demande de participation des victimes. Cette procédure vise à permettre aux reporters gazaouis de s’exprimer non pas comme simples témoins, mais comme victimes directes des exactions commises par l’armée israélienne.
S’ils obtiennent ce statut, ils pourront faire valoir les préjudices subis : assassinats ciblés, détentions arbitraires, tortures, destructions délibérées de leurs domiciles et de leurs rédactions. Une reconnaissance essentielle pour obtenir réparation et rétablir un semblant de justice dans un conflit où la presse paie un lourd tribut.
“Le droit des victimes de participer à l’enquête ouverte devant la CPI est un mécanisme essentiel pour que soit enfin reconnu l’incommensurable préjudice subi par les journalistes palestiniens opérant à Gaza, cible d’une répression systématique sans précédent.”
Clémence Witt et Jeanne Sulzer, avocates représentant RSF
Un bilan effroyable : près de 200 journalistes tués
Les chiffres sont accablants. Selon RSF, près de 200 journalistes ont été tués à Gaza depuis octobre 2023, dont au moins 44 en raison directe de leur travail. Dans cette enclave sous blocus, où les reporters étrangers n’ont pas accès, les médias locaux sont systématiquement pris pour cible. Les bombardements détruisent leurs bureaux, les snipers les abattent en pleine rue, et ceux qui survivent sont contraints à une fuite permanente dans des conditions humanitaires catastrophiques.
“Le temps de la justice pour les journalistes gazaouis doit advenir. Les crimes commis contre eux par l’armée israélienne doivent cesser. RSF continue sans relâche de réclamer justice et réparation.”
Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF
Des témoignages qui déchirent le voile de l’impunité
Parmi les victimes dont RSF défend la participation figure Adel Al Zaanoon, journaliste de l’AFP, et son épouse Ola Al Zaanoon, correspondante de RSF à Gaza. Leur maison a été réduite en cendres par une frappe aérienne israélienne le 11 avril 2024. Miraculeusement épargnés, ils ont tout perdu.
Autre cas emblématique : Diaa al-Kahlout, chef du bureau gazaoui d’Al-Araby Al-Jadeed, enlevé à son domicile de Beit Lahia et détenu pendant plus d’un mois dans le camp militaire israélien de Sde Teiman, où il a subi torture et humiliations.
Une quatrième journaliste, souhaitant garder l’anonymat pour sa sécurité, a été délibérément visée par des tirs israéliens alors qu’elle couvrait un bombardement. Blessée une première fois, elle a été touchée à nouveau quelques mois plus tard près de son lieu de travail.
Une bataille juridique historique
Les demandes de participation ont été transmises à la section des victimes et réparations de la CPI, conformément à l’article 68 du Statut de Rome. RSF rappelle que, le 7 janvier 2024, le bureau du procureur de la CPI a confirmé l’inclusion des crimes contre les journalistes dans l’enquête sur la Palestine.
Cette initiative inédite pourrait marquer un tournant dans la lutte contre l’impunité. En donnant une voix aux victimes, RSF espère non seulement obtenir justice pour les reporters assassinés, mais aussi envoyer un message fort : attaquer la presse, c’est attaquer la démocratie elle-même.
Emmanuel Ekouli