
La diaspora camerounaise constitue un appui majeur au développement durable du pays. Cependant, le gouvernement du Cameroun encourage-t-il sa diaspora à apporter son expertise au progrès du pays ? Nous sommes allés à la rencontre de Dr Jean Yves Djamen, spécialiste de l’intelligence artificielle et titulaire d’un PhD en informatique de l’Université de Montréal. Cet ancien haut fonctionnaire de l’administration camerounaise est désormais installé du côté de Princeton dans le New Jersey aux États-Unis où il est fondateur et directeur général d’Orionis Group, une entreprise de consultation spécialisée dans les nouvelles technologies. Lisez plutôt notre entretien.
Jean Yves Djamen, nous vous prions de bien vouloir faire une petite présentation de vous à nos lecteurs, notamment d’Orionis Group et depuis quand remonte votre intérêt pour l’informatique, surtout l’intelligence artificielle ?
Pour vos lecteurs, je suis Jean Yves Djamen, né à New-Bell Douala au Cameroun où j’ai grandi. Je suis promoteur de Orionis Group Company, une entreprise basée à Princeton, dans l’Etat de New Jersey aux États-Unis, spécialisée dans l’innovation technologique et l’intelligence artificielle. Mon intérêt pour l’Intelligence Artificielle (IA) commence au Gabon dans les années 1980. J’ai été initié à la recherche scientifique et particulièrement en IA par Philip Obenson (paix à son âme) pendant mes études d’Ingénieur Concepteur au Cycle Supérieur de l’Institut Africain d’Informatique (IAI) de Libreville.
Philip a supervisé mon mémoire d’études ayant abouti au développement de REFORMUL, un moteur de recherche et de reformulation des requêtes dans une base documentaire.
REFORMUL s’est appuyé sur YESSIR (Yet-An-Expert-System-for-Smart-Information-Retrieval), un Système Expert (SE) conçu et développé par Philip pendant ses études doctorales quelques années plus tôt. C’est ainsi que débute mon immersion dans le cœur de l’IA, le Traitement de la Langue Naturelle. REFORMUL peut être vu aujourd’hui comme une sorte de moteur de recherche Google qui accepte et reformule les requêtes des usagers en fonction de leurs intérêts et profils lors d’une recherche. J’ai continué mon parcours IA au Canada au début des années 90, particulièrement au Département Informatique et Recherche Opérationnelle (DIRO) de l’Université de Montréal où j’ai rejoint l’équipe de Claude Frasson, comprenant de grands enseignants et chercheurs tels Marc Kaltenbach, Jan Gecsei, Jean Vaucher, Gregor von Bochmann, Guy Lapalme, Suzanne Lajoie, Paul Bradley, etc.
Notre équipe collaborait intensément avec de nombreux centres aux Etats-Unis et en Europe pour les travaux liés aux Systèmes Tutoriels Intelligents (STI) et aux réseaux de télécommunications. Les recherches en STI mettent généralement en jeu l’enseignement (les matières à étudier ou à enseigner), les acteurs concernés (enseignants, apprenants), ainsi que l’art et la manière d’enseigner ou d’apprendre. J’ai ainsi pu bâtir une théorie IA basée sur l’apprentissage et proposer à la communauté scientifique une architecture pour analyser le raisonnement de l’apprenant. Cette même théorie m’a permis et me permet toujours de concevoir, développer et tester aisément de nombreuses applications informatiques, tous domaines confondus.
C’est ainsi que rentré au Cameroun après mes études doctorales, j’ai pu non seulement introduire le cours d’IA à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) de l’Université de Douala où de nombreux étudiants ont été formés en IA, mais également proposer, concevoir et développer des applications informatiques pour le compte de l’administration publique. Aussi, sous la houlette de René Ze Nguele, alors ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative, le système de gestion du personnel SIGIPES, piloté par le Secrétariat Permanent à la Réforme Administrative – SPRA, a été revu, et de nouveaux produits de modernisation tels que AQUARIUM de SIGIPES et REGNET ont été mis en œuvre dans le but de faciliter les traitements, réduire les délais et éliminer la circulation de faux actes.
A noter que l’AQUARIUM de SIGIPES a reçu le Prix d’Excellence des Nations Unies pour le Service Public en 2003. En bref, j’ai développé très tôt une passion pour l’IA en raison de son potentiel à transformer la société. Mon intérêt s’est mué progressivement en une quête inébranlable de modernisation de l’administration publique et de transparence du service public. D’où mon ouvrage en 2008 intitulé “Gouvernance et Intelligence Artificielle – Bâtir une Administration Performante” aux éditions Afredit. Cet ouvrage montre méthodiquement comment comprendre la gouvernance humaine en vue de la reproduire dans la machine et permettre à chaque acteur impliqué de jouer pleinement son rôle.
C’est, en principe, un bréviaire pour tout gestionnaire et surtout tout Chef de Gouvernement d’un Etat moderne. Conformément à ma passion, mes entreprises développent des solutions destinées à améliorer la performance des organisations et à apporter des réponses concrètes aux défis sociaux, économiques, administratifs et moraux de notre temps.
Vous avez développé une plate-forme dénommée Djangii qui signifie dans le parler camerounais la réunion donc une organisation. Quels peuvent être les bienfaits de Djangii dans notre société aujourd’hui et dans le futur et cette plate-forme sera-t-elle à l’image de Facebook ?
En effet, Djangii (ou Njangi) signifie « réunion » ou « organisation » dans plusieurs langues camerounaises ou africaines. On s’y réfère aussi par les termes “Tontine”, “Ekub”, “Esusu”, “Likelemba”, “Ibimina”, etc. Le fonctionnement d’un tel système est plus complexe qu’il n’y parait. D’où certaines déviances inévitables lors des opérations manuelles. Globalement, il s’agit d’un regroupement de personnes qui se connaissent ou ont des objectifs communs et qui désirent s’entraider à travers une série de cotisations, collectes ou épargnes de fonds, en vue de sublimer les membres du groupe, à tour de rôle.
Djangii de Djangii Inc. accessible par https://djangii.com est une plateforme numérique de coordination communautaire. Il faut d’abord comprendre la base de fonctionnent d’une “organisation” pour apprécier l’apport de cette nouvelle plateforme. Dans l’environnement dans lequel j’ai grandi, il m’a été donné de voir, de comprendre et de constater qu’une telle “organisation” est basée sur la confiance. D’abord la confiance au bureau exécutif chargé de conduire régulièrement les opérations et tenir à jour les registres et les comptes (y compris bancaires), ensuite la confiance aux membres, chargés d’assister régulièrement à toutes les sessions et de s’acquitter de leurs dettes et obligations, conscients qu’aucune défaillance n’est permise, même en cas de force majeure ou d’impossibilité flagrante. Or, la confiance ne se décrète pas, mais s’impose avec des mesures de contrôle adéquates.
En dehors de ces mesures de contrôle, toute “Tontine” devient hasardeuse ou périlleuse. Djangii rassemble ces outils de contrôle, en plus d’assurer l’automation, la digitalisation et la transparence. Il est utile de préciser que les bons outils de contrôle permettent d’intégrer, sans heurts, des personnes inconnues ou peu connues dans une “organisation”.
Les bienfaits de Djangii sont donc multiples. Ils incluent la possibilité de configuration des différentes facettes du ”Njangi” (cotisations fixes, variables, épargne, produits, charges, banques…) ; il permet au bureau exécutif de jouer son rôle ; il permet à chaque membre de voir l’évolution des opérations et de communiquer dans un réseau social dédié ; etc.
Bientôt, Djangii autorisera les opérations de cotisations électroniques, directement dans les comptes bancaires ou les portefeuilles électroniques des membres et du groupe. Cependant, Djangii ne se veut pas un simple réseau social, mais plutôt un outil de travail, assorti d’un espace structurant pour faciliter l’entraide, la collaboration et la mobilisation de ressources. Cette plateforme permet à la diaspora et aux populations locales de travailler ensemble librement et concrètement, à l’amélioration de leurs conditions de vie, en maintenant les us et coutumes. Ce n’est pas un “Facebook camerounais ou africain”, mais une plateforme de développement participatif et communautaire.
Djangii est actuellement utilisé avec succès dans de nombreuses associations regroupant des personnes localisées en Afrique et dans la diaspora. Contrairement aux réseaux sociaux classiques centrés sur la visibilité individuelle, Djangii privilégie la responsabilité collective et la traçabilité des engagements.
Pourquoi le haut fonctionnaire et ancien conseiller technique numéro 1 du ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative qui est considéré comme le pionnier de l’informatisation de l’administration camerounaise a décidé du jour au lendemain après de loyaux services à son pays quitter le Cameroun où son expertise était plus utile pour mettre les nouvelles technologies au service de la modernisation de l’administration ?
Pour répondre à cette question, il me semble utile de revisiter mon parcours dans l’administration camerounaise. J’intègre la fonction publique comme Analyste en 1984, après une formation au premier cycle de l’IAI. Je suis immédiatement affecté à la Direction Centrale de l’Informatique et des Télécommunications (DCIT Douala – devenue DIT, puis CENADI) dans le cadre du projet PAGODE (Procédures Automatisée de Gestion des Opérations de la Douane et du commerce Extérieur), nouvellement lancé par l’Etat. Ce projet, comme la plupart des projets informatiques au Cameroun, était dirigé par la SINORG, une société française.
Le chef de projet me confie la gestion des Manifestes et l’automatisation des opérations y afférentes. En 1987, l’IAI ouvre son Cycle Supérieur et j’ai le mérite de figurer parmi les trois camerounais admis au concours lancé dans les différents Etats-membres. Le ministre de la Fonction Publique, René Ze Nguele, que je ne connaissais pas à l’époque, est celui-là même qui nous met tous les trois en stage pour la formation d’Ingénieur, conférant ainsi à chacun le statut de Fonctionnaire en Stage de Formation, à la demande de notre ministre de tutelle.
En 1990, en fin de formation, nous recevons les premiers diplômes d’Ingénieurs Concepteurs émis par l’IAI et rentrons tous au Cameroun. Mes deux camarades sont affectés à Yaoundé et moi de nouveau à la DCIT/DIT/CENADI Douala, sans réintégrer le projet PAGODE qui avait bien évolué. Nous constituons un dossier commun de changement de grade pour passer d’Analyste à Ingénieur. Ce dossier est transmis par notre ministre de tutelle à son homologue de la Fonction Publique.
Il convient de préciser que quelques semaines avant la remise de nos diplômes et notre retour au Cameroun, et après études de mon dossier, je reçois une offre conjointe de l’ACDI (Agence Canadienne de Développement International) et de l’Université de Montréal, pour compléter un Ph.D. Informatique dès septembre 1990.
En tant que fonctionnaire en stage, je me devais d’obtenir l’autorisation de mon ministre de tutelle pour poursuivre de telles études. A ma demande, cette autorisation est accordée par Joseph Owona (paix à son âme) malgré l’avis contraire de mes supérieurs hiérarchiques qui l’encouragent à rejeter ma requête, après l’avoir retenue abusivement parce que, disent-ils, ils ont besoin de mon expertise dans de nouveaux projets.

Le livre de Jean-Yves Djamen, un ouvrage à lire absolument
Le ministre Owona, que je n’avais d’ailleurs pas eu besoin de rencontrer, s’est probablement basé sur son bagage intellectuel, sa probité et son expérience dans l’Administration Publique où plusieurs projets étaient conduits par des sociétés européennes sous le prétexte d’une insuffisance (qualitative et quantitative) de ressources humaines locales. C’est ainsi qu’il saisit son homologue de la Fonction Publique en 1991 pour les formalités d’usage de mise en stage d’un fonctionnaire.
Cependant, muni de l’autorisation de mon ministre de tutelle, et croyant naïvement que l’acte final du ministre de la Fonction Publique de l’époque (ce n’était plus Ze Nguele) allait être signé en son temps, je me retrouve en septembre 1991 au DIRO au Canada. Je découvrirai bien plus tard que le traitement de mon dossier à la Fonction Publique était pris en échec dans une nébuleuse. Entre 1995 et 1998, de retour au Cameroun, je constate non seulement que mon dossier de la Fonction Publique n’a pas encore abouti, mais qu’en plus il n’y a plus aucune trace en dehors de la mention du courrier arrivée.
De plus, mon dossier administratif jadis entretenu et archivé à la DCIT/DIT/CENADI n’existe plus. Comme si cela ne suffisait pas, j’apprends que j’ai été “déflaté” de la Fonction Publique. Alors que nous sommes tous les trois en “causerie amicale” au CENADI, je découvre de manière fortuite le fond de mon dossier de la Fonction Publique dans un tiroir du bureau de l’un de mes deux promotionnaires Ingénieurs. Mes “camarades” m’informent alors qu’ils l’ont retiré de la Direction des Personnels de l’Etat du ministère de la Fonction Publique parce que “ça empêchait leur dossier d’avancer”. Ils avaient, dirent-ils en cœur, “oublié” de m’informer quelques années plus tôt. Résigné, c’est pendant que je cherche à récupérer le dossier de déflation afin de me faire payer les modiques frais de déflation que j’apprends à la primature que le Premier Ministre Peter Mafany (lui-même Ingénieur) avait catégoriquement refusé de “déflater” les Ingénieurs.
Commence alors mon chemin de croix de réinsertion à la fonction publique qui n’aboutit qu’en 2002 après une audience que m’accorde le ministre de la Fonction Publique, René Ze Nguele, de nouveau nommé à ce poste. Après analyse de ma requête et des pièces fournies (incluant le fond de dossier subtilisé par mes camarades), lui qui recherchait un informaticien à ce moment précis, m’a affecté dans son département ministériel en complément d’effectif. Il a immédiatement sommé ses collaborateurs directs de reconstituer ma carrière. Les différents courriers, dossiers et actes administratifs “cachés” ont été ainsi retrouvés dans les archives et autres tiroirs. La reconstitution de ma carrière m’a fait atteindre immédiatement le grade le plus élevé : Ingénieur Général de l’Informatique.
Cette épreuve fut le socle d’une prise de conscience essentielle : pour changer le système, il fallait créer les outils avec une liberté d’innovation ne pouvant être conférée que par l’autorité gouvernante de l’administration concernée.
Le ministre Ze Nguele observe mon travail pendant quelques mois et propose au Chef du Gouvernement d’officialiser ma position auprès de lui comme Conseiller Technique Numéro 1 (CT1). Voilà comment j’occupe la plus grande fonction technique du ministère le plus sensible de l’administration publique du Cameroun.
Mû de la confiance de René Ze Nguele qui me désigne Administrateur national de SIGIPES et Coordonnateur technique de l’Equipe-Projet d’amélioration de l’interface SIGIPES-ANTILOPE, j’entreprends de mettre toute mon expertise pour la modernisation du ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative, aux côtés du SPRA, dirigé à l’époque par le très compétent Leon Bertrand Ngouo. En tant que CT1 et avec l’autorisation du ministre, j’ai notamment veillé qu’aucun agent de l’Etat ne subisse les mêmes problèmes que j’ai rencontrés, notamment dans la gestion des carrières et le suivi des dossiers.
En lisant ces lignes, certaines personnes comprendront pourquoi leurs dossiers avaient abouti à la Fonction Publique sans suivi de leur part entre 2002 et 2005. J’ai aussi “débloqué” de nombreux cas de dossiers restés sans suite à la Fonction Publique et la Primature, quand j’en prenais connaissance. C’est d’ailleurs à cette époque que je tisse de bonnes relations avec Ferdinand Ngoh Ngoh dont l’évolution de carrière était compromise à cause d’un “blocage” à la Fonction Publique et à la Primature.
Conformément aux directives du ministre René Ze Nguele, il fallait automatiser la gestion des carrières afin d’éviter qu’un agent de l’Etat soit obligé de rencontrer quelqu’un dans l’administration pour que son dossier soit traité. Ceci était techniquement possible car le ministère de la Fonction Publique émet et détient les originaux des actes de gestion de carrières, sinon les copies semi-originales quand lesdits actes sont émis dans d’autres administrations (présidence, primature, autres départements ministériels…). Il est donc superfétatoire d’exiger l’introduction des copies certifiées conformes des actes administratifs dans les dossiers de la Fonction Publique, car ce département ministériel détient (ou est censé détenir) les originaux desdits actes.
J’ai déjà cité SIGIPES, AQUARIUM et REGNET. Il y a aussi DATACLEANER qui était moins médiatisé et qui a permis de faire des économies de plusieurs milliards de FCFA mensuels sur la masse salariale. En effet, la carrière dicte le salaire. Assainir les carrières est la base d’assainissement des salaires. Dans le contexte camerounais, s’intéresser aux salaires des fonctionnaires peut être nébuleux voire dangereux. Comme dans ce cas c’est le ministre de la Fonction Publique qui reformait la gestion des carrières et de la solde, un remaniement ministériel est venu mettre un terme à son magistère en décembre 2004. Un an plus tard, presque jour pour jour, j’étais également “neutralisé”.
Avec ces deux mouvements bien agencés, les nouveaux “illuminés” ont immédiatement procédé à une sorte de décalcomanie pour donner l’impression de quelques activités. En réalité, le coup avait bien marché et le peuple et les fonctionnaires n’y ont vu que du feu. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de se poser une question simple : où en est-on avec la masse salariale ?
Mon salaire a été suspendu quelques mois après décembre 2005, et je n’ai jamais reçu une pension retraite malgré mes états de service. Peut-être faudrait-il que j’aille rencontrer ceux qui traitent mes dossiers, pour les faire “avancer” ? Je préfère arrêter ma narration sur ce point, car le développement des deux derniers points (salaire et retraite) nécessiterait un entretien entièrement à part.
Je me dois cependant de rendre hommage en tout temps à Philémon Yang, alors Secrétaire Général Adjoint à la Présidence de la République, pour son soutien qui a empêché mon embastillement arbitraire censé être en phase avec une thèse bancale de “néo-assainissement” tendant à transformer ce qui est vrai en “faux” et ce qui est faux en “vrai”. C’est dire que mon départ ne signifie pas une rupture avec le Cameroun que j’ai servi honorablement et efficacement. J’ai fait ce choix stratégique pour renforcer mes compétences, développer une vision globale et pouvoir contribuer autrement.
Je suis resté fidèle à mon engagement pour le développement du Cameroun et de l’Afrique. Aujourd’hui, à travers Orionis Group et des initiatives comme Djangii, je travaille à créer des outils et des modèles de transformation adaptés aux réalités africaines ou aux mondes défavorisés. Ces outils serviront tôt ou tard. Je forme également les jeunes générations pour assurer la relève et affronter honorablement les nombreux défis technologiques qui se présentent. Je me dois de rappeler la nécessité pour les administrations africaines de se réformer par l’intégration des talents de la diaspora et d’expertise locale.
Quel rôle moteur peut jouer le digital en Afrique d’une manière générale, notamment dans un pays comme le Cameroun non seulement dans l’administration mais aussi dans les autres secteurs d’activité pour le développement ou le progrès?
Le digital est un catalyseur. Il peut transformer l’administration publique en la rendant plus transparente et efficace. Mais il a aussi un impact considérable dans des domaines comme la santé, l’éducation, l’agriculture ou le commerce. Le tout est de veiller à une inclusion digitale, en outillant les jeunes, les femmes et les populations rurales pour qu’elles deviennent actrices de cette transition. Il serait judicieux de créer un Conseil National du Numérique multipartite et décentralisé, chargé d’élaborer une feuille de route numérique alignée sur les réalités socioculturelles africaines.
Ceci dit, il ne faut pas être naïf et croire que c’est le digital qui sauvera le Cameroun ou l’Afrique. Ce qui sauve ou enfonce un pays c’est d’abord sa gouvernance. Je viens de vous faire le récit de mon parcours. Pensez-vous qu’un pays qui cherche à se développer aurait fonctionné tel que décrit plus haut, là où chacun se “débrouille” comme il peut et où il n’y a pas de réelles voies de recours ?
Malgré certaines difficultés en Afrique, la révolution digitale peut favoriser des sauts rapides vers la modernité avec un accroissement de la création de richesses. Qu’en dites-vous?
L’Afrique peut contourner certaines étapes classiques du développement en adoptant directement des technologies modernes. On l’a vu avec la téléphonie mobile ou les services financiers mobiles. Mais cela requiert une stratégie claire, des investissements ciblés et un cadre réglementaire incitatif. En 1993, dans un article intitulé “Les Réseaux en Afrique : Une Incontournable Evolution vers Internet”, des collègues et moi avions attiré l’attention des pays africains sur l’évolution de l’Internet.
Cependant, très peu de pays ont suivi nos recommandations dans des délais raisonnables, parce que la plupart des dirigeants africains prennent encore leurs directives ailleurs, sans s’appuyer sur l’expertise locale et les réalités locales. Là où manquent la vision et la gouvernance, les technologies ne peuvent être que des mirages.
Les cinq sauts numériques, appelés leapfrogs en référence aux sauts de la grenouille ou les dépassements concernent les domaines comme les télécoms, les services financiers mobiles, de l’e-commerce, de l’e-gouvernement et de l’économie des plateformes collaboratives. Est-ce que vous pouvez nous en parler des incidences de ces différents sauts dans la révolution numérique ou digitale en Afrique par rapport aux pays développés ou plus avancés dans le domaine comme l’Inde, la Chine et le Brésil par exemple?
Oui, les cinq domaines-clés sont : les télécommunications, les services financiers mobiles, l’e-commerce, l’e-gouvernement et les plateformes collaboratives. Ces sauts ont un impact profond, car ils facilitent l’accès aux services, stimulent l’entrepreneuriat et renforcent la gouvernance. Tandis que l’Asie s’appuie sur des conglomérats et une planification centralisée, l’Afrique innove souvent à partir de la base, dans une logique de résilience créative. Il est temps pour l’Afrique de bâtir ses propres standards technologiques, afin de ne pas demeurer dépendante des solutions exogènes. Djangii est justement un exemple de ce type d’initiative adaptée aux besoins de nos sociétés.
Si vous deviez être appelé à imaginer à quoi pourra ressembler l’Afrique dans les 15 ou 25 ans comme un futurologue de la trempe d’Alvin Tofler , un écrivain visionnaire comme Jules Verne ou un entrepreneur de génie comme Elon Musk, que diriez-vous?
Je vois principalement une Afrique bien gouvernée. Secondairement, je vois une Afrique où les villages sont interconnectés en réseaux d’intelligence communautaire, produisant leurs propres données, leur énergie, leurs décisions. En d’autres termes, une Afrique souveraine dans ses choix technologiques, capable de produire ses propres modèles de développement. Une telle transformation doit être portée par une jeunesse outillée, ambitieuse, ouverte, consciente et profondément enracinée dans ses valeurs. C’est pour cela que j’ai créé Djangii pour donner aux Africains un des outils de leur avenir.
Propos recueillis par Ferdinand MAYEGA à Paris