Le 6 novembre 2024 marque 42 ans de pouvoir pour Paul Biya, le président du Cameroun, qui incarne l’un des régimes les plus longs du continent africain. À 92 ans, Biya reste une figure énigmatique : discret, quasi invisible, il ne réagit que sporadiquement aux crises, souvent par des décisions prises dans l’ombre, laissant l’initiative aux autres. Ce mode de gouvernance, particulièrement silencieux et lent, est perçu comme une caractéristique majeure de son style de leadership. Cependant, derrière ce masque de calme, certains des péchés de son régime se sont imposés au fil des décennies comme des éléments clés de son pouvoir. Ces péchés, énumérés ci-dessous, définissent aujourd’hui le « Renouveau » et expliquent les déviances de ce régime devenu une institution immuable.
1. L’Enrichissement illégal
Paul Biya, bien qu’évoluant dans un milieu de pouvoir ostentatoire, il se veut en apparence, détaché des préoccupations matérielles. Les images qu’il véhicule d’un président sobre, préférant sa solitude à Genève ou dans son village natal de Mvomeka, contrastent avec la réalité de ses collaborateurs. Au sein de son entourage, l’enrichissement personnel et la corruption sont devenus des pratiques systématiques. Depuis des décennies, les membres du gouvernement, les hauts fonctionnaires et les dirigeants du parti au pouvoir sont régulièrement accusés de détournements massifs de fonds publics, de détournement de ressources de l’État pour des profits personnels. Une interview marquante en 1987, où Paul Biya se montrait presque indifférent aux accusations de corruption, avait fait écho à un signal de tolérance, voire d’encouragement à cette pratique. Le résultat a été une explosion de malversations au sein de l’administration publique, où une partie des fonds publics se perdait dans un système mafieux bien établi.
2. L’Amour excessif du pouvoir
Le pouvoir est la pierre angulaire du régime Biya, et il est détenu sans partage depuis 42 ans. Bien que le multipartisme ait été instauré sous la pression internationale (notamment après le discours de la Baule en 1990), le régime Biya n’a jamais véritablement accepté une vraie alternance démocratique. Le RDPC, son parti, reste hégémonique, et toute forme d’opposition est violemment réprimée. Le MRC de Maurice Kamto, ou encore l’opposant Cabral Libii, tentent périodiquement de perturber l’hégémonie du pouvoir, mais les libertés sont constamment restreintes, la contestation systématiquement étouffée. Le pouvoir, figé, reste l’apanage des mêmes élites vieillissantes, et l’alternance générationnelle semble un mirage. La réforme démocratique est reléguée au second plan au profit du maintien d’un pouvoir autoritaire et d’un contrôle politique absolu.
3. L’Égoïsme social
L’égoïsme social est une caractéristique marquante du régime Biya. Tandis que le pays fait face à une grave crise socio-économique, où la pauvreté et l’inégalité sociale s’accroissent, une élite s’enrichit en toute impunité. Les hauts responsables, les ministres, et les proches du régime vivent dans un luxe ostentatoire, tandis que les conditions de vie du Camerounais moyen se détériorent. Les pauvres, souvent confrontés à des obstacles administratifs et fiscaux écrasants, se voient opprimer par une bureaucratie vorace, tandis que les puissants échappent à toute forme de contrôle. Les infrastructures publiques sont mal gérées, et les services de base demeurent insuffisants, accentuant l’injustice sociale. Le pays est divisé en deux mondes : celui des élites qui bénéficient des privilèges d’un système dévoyé, et celui des masses qui subissent l’impact de l’immobilisme.
4. La Dilapidation des ressources publiques
Le régime Biya est également marqué par une gestion déplorable des finances publiques. Alors que des fonds colossaux sont alloués pour des projets d’infrastructures, des événements comme la Coupe d’Afrique 2021 ou la gestion de la crise sanitaire liée à la COVID-19 ont été entachés de scandales de corruption. Le train de vie des responsables politiques est scandaleusement déconnecté de la réalité du pays. Les ministres et hauts fonctionnaires roulent dans des véhicules luxueux, alors que le salaire minimum reste à 36 270 FCFA par mois. Un exemple édifiant de cette gabegie : en décembre 2019, un fax du directeur général du Budget révélait l’allocation d’une somme de près de 1,5 milliard FCFA pour l’achat de boissons alcoolisées pour les fêtes de fin d’année, une information qui n’a jamais été démentie. Cette gestion irresponsable des finances publiques n’a que trop duré, alimentant la perception d’un régime corrompu, détournant les ressources de l’État au profit d’une élite insensible aux besoins du peuple.
5. L’Immobilisme et l’Inaction face aux crises
Enfin, l’immobilisme reste l’une des plus grandes critiques envers Paul Biya. S’il se présente comme le garant de la paix et de l’unité nationale, le Cameroun traverse depuis plusieurs années une crise sévère, notamment dans ses régions anglophones. Des millions de Camerounais sont affectés par la guerre civile, exacerbée par des décennies de marginalisation. Des appels incessants à la paix, à la négociation et à la fin des hostilités sont lancés de toutes parts, mais le pouvoir reste figé, refusant d’ouvrir le dialogue véritablement. Des militants politiques, tels que ceux du MRC, croupissent dans les prisons, souvent pour avoir simplement exprimé leur opposition ou demandé un véritable engagement de l’État sur la question du séparatisme. L’inaction de Paul Biya face à cette crise, pourtant d’une ampleur dramatique, illustre une fois de plus un régime préoccupé par sa survie avant tout, au détriment de l’intérêt national.
Le régime de Paul Biya, malgré son long règne, semble de plus en plus déconnecté des réalités du pays. Ces cinq péchés capitaux – l’enrichissement illicite, l’amour du pouvoir, l’égoïsme social, la dilapidation des ressources publiques et l’immobilisme politique – sont devenus des caractéristiques emblématiques d’un gouvernement figé, sourd aux souffrances de son peuple. L’année 2024 marque ainsi un anniversaire symbolique, mais derrière les festivités et les commémorations, les questions de fond sur l’avenir du Cameroun restent sans réponse.
Charles Chacot Chimé