Suite à la crise anglophone, plus de six milles Mbororo recensés par Mboscuda, ont trouvé refuge dans la ville de Bafoussam et ses environs. Ils peinent à jouir des services sociaux de base. Education, alimentation et santé sont au rabais.
7 heures 40 minutes, ce lundi 11 novembre 2024. La fraîcheur matinale qui jaillit des collines de Houkaha à Bafoussam s’estompe progressivement face au soleil qui se lève à l’horizon. La nouvelle cathédrale de l’église catholique roumaine, en plein chantier, constitue un joyau architectural perché au sommet de la plus haute desdites collines. La vie bat son plein à l’école primaire publique du coin. La cinquantaine de pupilles qui remplit la Section d’initiation à la lecture (Sil) exultent de joie. Toutes les autres salles de classe des deux groupes scolaires, douze au total, sont en activités pédagogique.
Il a été chassé pour défaut de paiement des frais
A une plus d’une centaine de mètre de cette ambiance scolaire, quatre jeunes enfants, issus de la communauté Mbororo et originaires de Wum, région du Nord-Ouest, en proie depuis six ans à des affrontements armées violents entre les groupes séparatistes armés anglophones et les forces gouvernementales camerounaises, sont occupés à chercher de l’eau du robinet installé dans le voisinage pour approvisionner leur maison familiale. Hassan, 13 ans et inscrit au Cour Moyenne Première année dans cette école primaire est absent. Motif : il a été chassé pour défaut de paiement des frais de l’association des parents d’élèves (Ape). Son frère cadet, Ousseni, 11 ans, se trouve dans la même situation. Tout comme leurs deux petites sœurs, âgées respectivement de 9 et de 7 ans. Ces quatre bambins se sont débinés lorsque l’auteur de ces lignes voulait en savoir plus sur la vulnérabilitéde leur famille. Les deux garons, svelte et agile, ont tout simplement fondu dans la nature au pas de courses…
Ils sont loin d’être les seuls dans cette situation. Plusieurs enfants, membres de la communauté Mbororo ayant fui les hostilités ou victimes des violences dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun, se retrouvent dans cette situation. Selon Moustapha, coordonnateur régional de Mboscuda (Ndlr : Mbororocultural’s association) dans la région de l’Ouest, plus de six milles déplacés internes membres de cette communauté vivent dans la ville de Bafoussam et les localités environnantes.
Inscrit à nouveau à l’école
Khalid-Adam, 15 ans et originaire de ce groupe ethnique minorité ethnique nomade affiche une mine pensive alors que ses camarades de «class five », le cinquième niveau du cycle primaire de la section anglophone, en grand nombre, jouent dans tous les sens de la ruelle du quartier Bamendzi où est logée depuis deux ans déjà l’école islamique Nurudeen à Bafoussam. Il est 12 heures 30, le soleil darde sur la ville de Bafoussam, et il vient d’achever l’épreuve de français à laquelle il a été soumis lors du contrôle des connaissances et observe la pause de la mi-journée. Après avoir passé deux années dans un atelier d’apprentissage de couture, ce jeune homme a été, au début de l’année scolaire 2024-2025, inscrit à nouveau à l’école. Son niveau de concentration n’est pas optimal. Car, régulièrement, des scènes de violences dont il a été témoin rejaillissent de sa mémoire. «En 2022, les hostilités à l’endroit des membres de la communauté Mbororo à Lassi se sont amplifiées. Nous avons fui. J’ai été accueilli à Bafoussam. Ici, je vis chez mon oncle, AdamouOumarou », déclare-il. Il fait savoir qu’il était devenu impératif pour lui, comme pour de nombreux jeunes de son âge, 13 ans en 2022, de quitter le village Lassi dans le département du Ndonga-Menchum, région du Nord-Ouest.« J’étais devenu la cible des groupes séparatistes armés sécessionnistes. Ils voulaient m’enrôler. Je faisais l’école dans mon village, mais ils venaient régulièrement demander que l’on arrête d’aller à l’école pour les rejoindre dans la montagne, en brousse. Ils ont tué de nombreuses personnes, membres de notre communauté », soutient-il. Et de poursuivre : « Ils multipliaient des visites dans nos campements pour orchestrer des enlèvements des hommes et des femmes. Ils demandaient, par la suite, le paiement des rançons, avant libération des otages. C’était devenu invivable. »
Les élèves déplacés internes ne sont pas au bout de leurs problèmes
«Parfois, je suis triste quand je pense à ce qui s’est passé dans notre village. Je me fais des soucis pour mes parents et autres membres de ma famille, dispersée à cause des atrocités des groupes séparatistes armés », souligne-t-il. A la question de savoir comment se projette-il dans l’avenir, Khalid-Adam, est dubitatif. « Je ne sais ce que je dois travailler après avoir fini l’école. Ici à Bafoussam, c’est calme. Je suis heureux d’avoir repris avec l’école. Je suis fier de moi, car J’ai aussi achevé avec mon apprentissage de la couture. Cette tenue que je porte a été confectionnée et cousue par moi-même, hier (Ndlr : dimanche, 10 novembre 2024). Pour l’instant, je suis déjà couturier ».
Une ambiance studieuse
Toujours dans la même école, une dizaine d’enfants Mbororo ont pris place à la maternelle appelée en anglais Nusery. A la manœuvre, Samira, institutrice dans cette école communique la joie de vivre et le goût de l’apprentissage à ces enfants. Elle apprend aux enfants la différence entre la famille nucléaire et la famille étendue. Une ambiance studieuse règne dans les autres salles de classe. Selon le directeur, M. Tutu, un déplacé interne originaire du département du Bui qui a pour chef-lieu Kumbo, il y a plus de 60 enfants Mborororépartis dans toutes les salles de cette école. Comme tous les autres jeunes Hassan, Ousseniet leurs deux petites sœurs auraient souhaité fréquenter cet espace de formation et d’apprentissage. Mais faute d’argent, ils ne peuvent pas avoir accès à cette école privée islamique. Tout comme, ils ne peuvent pas aller à l’école publique, officiellement déclarée gratuite au Cameroun par décret du chef de l’Etat.
Toute personne a droit à l’éducation
Augustin Ntchamandé, secrétaire exécutif de l’Organisation nationale des parents pour la promotion de l’éducation au Cameroun(Onaped) et membre de Dynamique Citoyenne, trouve notamment qu’il y a eu abus et violation du principe de la gratuité de l’école primaire contenu dans un décret du chef de l’Etat et dans certaines conventions internationales ratifiées par le Cameroun. L’article 17 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le décret n°2201/041 du 19 février 2001 relatif à la gratuité de l’école au Cameroun sont invoquées par le syndicaliste. Cette disposition de la Charte s’énonce ainsi : «1.Toute personne a droit à l’éducation » Le décret n°2201/041 du 19 février 2001 relatif à la gratuité de l’école au Cameroun dispose dans son article 47 que: «Les élèves des écoles primaires publiques sont exemptés des contributions annuelles exigibles». Au niveau de la délégation régionale de l’éducation de base de la région de l’Ouest, on n’ignore pas les conséquences de la violation des textes en question.
Guy Modeste DZUDIE