
Chaque année, la fuite des cerveaux camerounais se poursuit avec une régularité métronomique. Les brillants esprits formés sur les bancs du système éducatif local, souvent dans des conditions misérables, finissent par s’expatrier sous d’autres cieux plus cléments, où leur génie est reconnu, applaudi et surtout exploité. La dernière cérémonie de remise de diplômes à l’École des Ponts et Chaussées de Paris l’a encore démontré : sur les 20 majors de promotion, 14 sont Camerounais. Et pendant ce temps, à Yaoundé, on continue de célébrer des “primes d’excellence” qui n’excellent en réalité que dans le bruit et la mise en scène.
Les universités et grandes écoles du pays sont en état de délabrement avancé, les enseignants sont en grève une année sur deux, les infrastructures sont indignes et les perspectives d’avenir sont des plus sombres. Pourtant, lorsqu’un jeune Camerounais réussit à décrocher une distinction à l’étranger, l’État se réveille, brandit des communiqués et fait mine de s’intéresser à lui, souvent pour récupérer sa gloire à des fins de propagande. Un ministre ne tardera sûrement pas à convier ces jeunes talents dans un salon feutré pour une séance photo, vantant « l’excellence camerounaise » comme si le mérite leur revenait.
Au Cameroun, l’excellence n’est récompensée que pour la galerie. Les primes dites “de l’excellence” sont organisées avec tambours et trompettes, des bourses de pacotille sont annoncées en grande pompe, mais dans les faits, les lauréats se retrouvent à mendier un stage dans une administration obsolète ou à errer dans les rues de Douala avec un diplôme sans avenir. Pendant ce temps, la France et d’autres pays déroulent le tapis rouge aux cerveaux camerounais, les accueillant à bras ouverts avec des contrats de rêve et des perspectives de carrière dignes de leur talent.
Ironie suprême, voilà maintenant que l’École des Ponts et Chaussées et Polytechnique réfléchissent à des moyens d’attirer encore plus de ces jeunes prodiges camerounais, en s’associant avec des établissements locaux pour leur faciliter l’exil. Pendant que la France raffine ses stratégies d’attraction, au Cameroun, on perfectionne l’art du discours creux et de l’inaction institutionnalisée.
Ne soyons donc pas surpris si, dans quelques années, ces jeunes brillants esprits, formés gratuitement sous d’autres cieux, deviennent des piliers du développement… mais ailleurs. Quant à nous, nous continuerons de nous enorgueillir d’avoir enfanté des génies, sans jamais nous demander pourquoi ils ne veulent pas rester.
Charles Chacot Chime, journaliste