
Dans une démarche audacieuse visant à moderniser ses services et à diversifier ses revenus, la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater) a lancé, ce 30 avril 2025, un appel à manifestation d’intérêt international pour la construction de lignes d’ultrafiltration et d’embouteillage de l’eau potable. Ce projet, inscrit dans son Plan Prioritaire Quinquennal 2023-2030, ambitionne de positionner l’entreprise publique comme un acteur clé sur le marché camerounais de l’eau en bouteille, tout en renforçant l’accès à une ressource vitale pour les populations.
Un projet structurant pour répondre à la demande
Sous l’impulsion de son directeur général, le Dr Blaise Moussa, la Camwater a intensifié ces dernières années ses efforts pour améliorer l’approvisionnement en eau potable. Malgré des avancées notables, près de 40 % des Camerounais rencontrent encore des difficultés d’accès à l’eau courante, selon des données de 2024. Le nouveau projet d’embouteillage s’inscrit donc dans une logique complémentaire : « L’eau embouteillée ne remplacera pas le réseau, mais offrira une alternative accessible, notamment dans les zones rurales ou lors des coupures », explique un communiqué de l’entreprise.
L’initiative prévoit l’installation d’unités d’ultrafiltration, de minéralisation et de conditionnement dans les dix régions du pays. Une phase pilote démarrera dès 2026 dans les villes de Yaoundé, Douala, Bafoussam, Limbe et Maroua, où la demande en eau potable est la plus critique. Les partenaires privés sélectionnés devront garantir des technologies conformes aux normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avec un accent sur la durabilité environnementale.
Un PPP pour booster l’innovation et l’autonomie financière
Pour concrétiser ce projet estimé à plusieurs milliards de FCFA, la Camwater mise sur un partenariat public-privé (PPP), modèle encouragé par le décret n°2018/144. Ce choix stratégique permettra de mobiliser des compétences techniques tout en allégeant les investissements publics. « Le PPP est une solution gagnant-gagnant : il attire l’expertise étrangère et stimule l’économie locale via des sous-traitances », souligne un cadre de l’entreprise.
Outre l’aspect social, l’objectif est clairement économique. Le marché camerounais de l’eau en bouteille, dominé par des marques comme Supermont ou Tangui, pèse près de 50 milliards de FCFA annuels. La Camwater compte y imposer une offre « qualité-prix » compétitive, en s’appuyant sur ses infrastructures existantes. « Notre eau est déjà traitée et distribuée. L’embouteillage ne nécessitera que des ajustements techniques, réduisant les coûts de production », précise un responsable.
Cette diversification devrait aussi renforcer l’autofinancement de l’entreprise, aujourd’hui tributaire de subventions étatiques et de tarifs sociaux peu rémunérateurs. En 2024, ses marges bénéficiaires plafonnaient à 12 %, une performance fragile face à l’explosion démographique et aux besoins croissants en maintenance.
Défis et attentes : qualité, emplois et concurrence
Si l’initiative est saluée par des experts comme le Dr Amina Ngo, hydroéconomiste à l’Université de Douala, qui y voit « une avancée pour la sécurité hydrique », elle n’est pas sans défis. La Camwater devra convaincre des partenaires internationaux de s’engager dans un contexte où seulement 30 % des PPP au Cameroun aboutissent, selon la Chambre de commerce. Par ailleurs, la gestion des déchets plastiques liés à l’embouteillage suscite des inquiétudes chez les écologistes.
En réponse, l’entreprise promet des bouteilles 100 % recyclables et des campagnes de sensibilisation. Sur le plan socio-économique, le projet pourrait créer plus de 1 000 emplois directs, un argument de poids dans un pays où le taux de chômage frôle 25 %.

Blaise Moussa, le DG de Camwater à la manœuvre de tous les changements
Vers une nouvelle image pour la Camwater ?
Au-delà des retombées financières, ce projet symbolise une mutation culturelle pour la Camwater, souvent critiquée pour ses dysfonctionnements. En se lançant sur un marché concurrentiel, l’entreprise publique entend redorer son blason en prouvant sa capacité à innover. « Commercialiser une eau de qualité sous notre marque, c’est aussi rassurer les citoyens sur la potabilité de l’eau du robinet », insiste le Dr Moussa.
Les prochains mois seront décisifs : les candidats au PPP ont jusqu’au 30 juin 2025 pour se manifester. Si les partenaires idéaux sont trouvés, la Camwater pourrait, dès 2027, voir ses premières bouteilles en rayons – un pas de plus vers son ambition : « L’eau pour tous, sous toutes ses formes ».
Alors que le Cameroun vise l’émergence à l’horizon 2035, ce projet illustre la nécessité de conjuguer innovation et inclusion. Reste à savoir si l’eau embouteillée de la Camwater deviendra un symbole de progrès… ou un mirage de plus dans un secteur vital encore en quête de solutions durables.
Emmanuel Ekouli