La condamnation à perpétuité du militant pacifiste anglophone Abdu Karim Ali par le tribunal militaire de Yaoundé est un affront à la justice, une insulte aux droits humains et une sombre illustration de la répression systématique qui frappe les voix dissidentes au Cameroun. Amnesty International a qualifié ce verdict de « honteux » et exige la libération immédiate et inconditionnelle de ce défenseur des droits humains, emprisonné pour le seul crime d’avoir dénoncé des atrocités.

Un procès inique, une condamnation politique

Arrêté sans mandat en août 2022 à Bamenda, Abdu Karim Ali, fondateur du Centre de recherche sur la paix, a passé près de trois ans en détention arbitraire avant d’être jugé par un tribunal militaire pour des accusations aussi vagues que « faits d’hostilité contre la patrie » et « sécession ». Son véritable tort ? Avoir diffusé une vidéo dénonçant les exactions de « Moja Moja », un chef de milice pro-gouvernementale accusé de torturer des civils dans la région anglophone du Sud-Ouest.

Plutôt que d’enquêter sur ces crimes, les autorités camerounaises ont choisi de faire taire celui qui les révélait. En mai 2024, Karim Ali a refusé de reconnaître la légitimité du tribunal militaire, contestant sa compétence dans une lettre poignante. Condamné par contumace, il a été frappé d’une peine maximale, sans preuves tangibles, sans procès équitable.

« Ce jugement est une parodie de justice, a déclaré Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Condamner un homme à la prison à vie pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression est une violation flagrante du droit international. »

Une détention cruelle, une résistance inébranlable

Avant même son procès, Abdu Karim Ali a subi des conditions de détention inhumaines : 84 jours d’isolement, dont quatre au secret dans un poste de police militaire, sans accès à un avocat ni à sa famille. Son avocat, interrogé par Amnesty International, affirme que son client est victime d’une « persécution politique » ciblant ses origines anglophones, son engagement associatif et ses critiques envers le gouvernement.

Pourtant, Karim Ali n’a jamais prôné la violence. Au contraire, il était un fervent partisan du dialogue, promouvant la médiation suisse pour résoudre la crise anglophone. Son crime ? Avoir cru que la justice camerounaise pouvait encore entendre la voix des opprimés.

Un système judiciaire instrumentalisé

Le cas d’Abdu Karim Ali n’est malheureusement pas isolé. Des centaines de Camerounais anglophones croupissent dans les prisons pour avoir participé à des manifestations pacifiques ou exprimé leur désaccord avec le gouvernement. Parmi eux, des figures comme Mancho Bibixy Tse ou Tsi Conrad, dont la libération a pourtant été ordonnée par le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. En vain.

Les tribunaux militaires, normalement réservés aux crimes de guerre, sont régulièrement utilisés pour réprimer l’opposition politique et la société civile. Trente-huit militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) sont toujours détenus depuis septembre 2020 pour avoir manifesté pacifiquement.

Un appel international ignoré

En février 2023, Amnesty International avait déjà alerté sur la détention illégale d’Abdu Karim Ali. Aujourd’hui, l’organisation renouvelle son appel : le Cameroun doit libérer immédiatement tous les prisonniers d’opinion, mettre fin à l’utilisation abusive des tribunaux militaires et respecter ses engagements internationaux en matière de droits humains.

La communauté internationale ne peut rester silencieuse face à cette escalade répressive. Les partenaires du Cameroun, notamment l’Union africaine et les Nations unies, doivent exiger des comptes et conditionner leur coopération au respect des libertés fondamentales.

La justice, otage du pouvoir

La condamnation d’Abdu Karim Ali n’est pas seulement une injustice criante – c’est un message adressé à tous ceux qui osent critiquer le régime. Mais ce message, loin d’étouffer la dissidence, pourrait bien attiser les flammes du mécontentement.

En emprisonnant un pacifiste, le Cameroun s’enfonce un peu plus dans l’autoritarisme. Et en le condamnant à perpétuité, il prouve au monde entier que dans ce pays, la justice n’est plus qu’une arme aux mains du pouvoir.

Abdu Karim Ali doit être libéré. La justice, elle, reste à condamner.

Emmanuel Ekouli

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