Le mot “influenceur”, selon le dictionnaire Larousse, désigne : ” une personne qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique, a un grand pouvoir d’influence sur l’opinion publique, voire sur les décideurs ». Le phénomène des influenceurs(ses) du Web est né avec l’apparition des réseaux sociaux, notamment Facebook, Instagram, Twitter, Tik-Tok, YouTube, etc. C‘est un phénomène mondial, qui a un impact marquant sur les modes de communication, les valeurs et les comportements des utilisateurs desdits réseaux sociaux. Ce phénomène qui a des aspects positifs, comme négatifs, a une connotation particulière pour les utilisateurs africains essentiellement jeunes, en raison de leur situation historique d’acculturés, marquée par une dépendance et une préférence pour les produits et mœurs d’origine occidentale. Les réseaux sociaux sont un vaste espace de communication, d’accès libre et facile pour tous, liberté encadrée par des algorithmes mis en place pour limiter au maximum les contenus inadaptés aux standards, normes et valeurs sociales édictés par leurs gestionnaires. Malheureusement en raison du flot important d’informations à traiter, il arrive souvent que des contenus nocifs, haineux ou pervers échappent à la censure, inondent et infestent la Toile. Il existe plusieurs types d’influenceurs(ses), blogueurs(ses) et autres créateurs de contenus, que l’on pourrait classer selon la nature desdits contenus et l’importance de leurs communautés, à savoir le nombre d’abonnés ou de followers qui les suivent.
Le haut du pavé des influenceurs(ses) sur Internet et les réseaux sociaux est tenu par des personnes célèbres dans divers secteurs d’activité, parmi lesquels des stars du show-business, du sport, de la politique, des religions et autres communautés sociales, qui sont suivis par des milliers, voire des millions de personnes à travers le monde. Les influenceurs(ses) de seconde zone, désignés comme nano-influenceurs(ses) ou « Mbrakata » selon l’appellation populaire, ont en général moins de dix mille abonnés et sont les plus nombreux(ses). Dans cette catégorie, point n’est besoin d’un quelconque niveau d’études, de formation professionnelle, de diplômes, d’une compétence particulière ni d’intelligence ou de sagesse. A ce niveau il n’y a, non plus, aucune ligne éditoriale, aucun thème précis ; on divague au gré des préoccupations du moment, on parle de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, du futile et nocif comme de l’utile. N’importe quel individu sachant s’exprimer, même approximativement, en français ou en anglais, qui a du bagou, de l’assurance et le sens de la répartie, se déclare influenceur(se). Ces influenceurs(ses) de seconde zone constituent le “tout-venant”, la lie de la profession, qui livrent quotidiennement un spectacle d’une vulgarité lamentable aux internautes ; des clashes permanents entre eux, dans lesquels les arguments volent bas, très souvent au-dessous de la ceinture ; où ils/elles vocifèrent, lancent des invectives, colportent des ragots, débitent des insanités à longueur de journée. On constate malheureusement, au nombre de leurs abonnés, que ces influenceurs(ses) nocifs et futiles sont les plus suivis par les internautes africains, essentiellement les plus jeunes, les plus naïfs et les plus vulnérables.
Le phénomène de la web-influence traîne parfois derrière lui une réputation sulfureuse, l’objectif pour bon nombre d’influenceurs(ses) étant de devenir célèbres, de faire le “buzz” par tous les moyens, y compris les plus sordides. Ils sont obnubilés par le désir de récolter le plus grand nombre de followers, de “likes”, d’émoticones de cœurs et d’applaudissements virtuels. Ils soignent les apparences, montrent sur la Toile une image surfaite et sublimée d’eux-mêmes, très souvent éloignée de la réalité. Ils surfent sur la vague des fantasmes populaires, notamment la richesse, la jeunesse, la beauté physique, la réussite matérielle. Aussi prétendent-ils être des privilégiés menant une vie de rêve : certains étalent ostensiblement des signes extérieurs d’opulence, à savoir des vêtements, accessoires, bijoux de marque hors de prix, des voitures de luxe, des appartements dans des lieux huppés, allèguent ne boire que du champagne et de bons vins millésimés ; d’autres font des dons, distribuent de l’argent facile à la ronde. Par contre ces influenceurs(ses) qui s’illustrent par ces comportements critiquables et puérils maintiennent l’opacité en omettant de révéler à leurs followers l’origine souvent malhonnête de leurs faramineuses richesses. Ces influenceurs(ses) nocifs et futiles ont souvent pignon sur rue, sont respectés, adulés, notamment par une jeunesse déboussolée, cherchant ses repères dans un monde cybernétique que la plupart de leurs éducateurs et de leurs parents ne maîtrisent pas. On peut être un malfrat, un pervers, une personne de petite vertu, mais apparaître comme un modèle dans ce monde virtuel, uniquement parce qu’on prétend avoir de l’argent et des biens matériels, et personne ne se soucie qu’ils soient honnêtement ou mal acquis. Malheureusement ces vendeurs de rêves et d’illusions finissent par entraîner les plus naïfs et les plus fragiles dans la débauche et la perdition.
Des influenceurs(ses) sont indexés(ées) de manière récurrente dans des scandales de mœurs, notamment celui des pratiques perverses appelées « porty-porta » révélées au Moyen-Orient ; dans le cas du présumé violeur en série, le nommé Hervé Mbopda qui défraie la chronique en ce moment au Cameroun. Ils/elles sont régulièrement cités(ées) dans des affaires de prostitution, de détournement et d’exploitation sexuelle des mineurs, et de ce fait, participent activement à la dépravation des mœurs en recrutant des femmes et des hommes parfois très jeunes (9 à 15 ans) en vue de les livrer dans des partouzes à des prédateurs sexuels nantis et haut placés, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, avec lesquelles ils/elles s’empressent d’aller en mettre plein la vue à leurs followers naïfs. Dans leur quête effrénée d’argent et de biens matériels, ils/elles font parfois du recel du fruit des détournements de deniers publics, de la corruption, du grand banditisme ou feymania et autres malversations. C’est connu, la nudité, le corps, l’exploitation du sordide, des déviances et de la perversité sont courants et payants, alors certains(es) influenceurs(ses) s’en donnent à cœur joie en jouant sur la trivialité. Ils exhibent leur corps partiellement dénudé, montrent leur torse, leurs biceps, pectoraux et tablettes de chocolat pour les hommes, et pour les femmes leurs seins, leurs cuisses, leur “bosse” ou popotin, etc. Ils participent ainsi à la chosification de l’humain, portent atteinte à sa dignité en le traitant comme un vulgaire objet commercial. Ce constat pose d’emblée la question de l’évolution de la notion de “modèle de réussite sociale” qui prévaut dans la société africaine aujourd’hui.
La société africaine est aujourd’hui à cheval entre deux modèles de réussite sociale : le modèle classique, qui est menacé d’obsolescence et de disparition aujourd’hui est fondé sur un certain nombre de normes et de valeurs, à savoir l’honnêteté, la probité, le respect, la patience, la résilience, le sens de l’effort, le mérite, la compétence et le travail bien fait. Dans ce modèle traditionnel, il faut passer de longues années d’études pour obtenir un diplôme ou pour une formation professionnelle, afin de devenir médecin, ingénieur, avocat, enseignant, etc. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, pour être riche et célèbre, il suffit de savoir pianoter sur un ordinateur, de s’afficher dans une vidéo ou un spot publicitaire de quelques secondes ou minutes, de se dénuder, de parader à longueur de journée devant des caméras, et récolter une petite fortune en une seule prestation, grâce à la publicité et la monétisation des contenus. Ces influenceurs(ses), en quelques prestations gagnent des sommes faramineuses, deux à dix fois plus élevées que celles que gagnerait en 20 ans de service un médecin par exemple, après 15 ans d’études, plus les années de spécialisation. C’est le fondement même de la notion de “réussite sociale” qui est ainsi bouleversée. Nous sommes là face à l’émergence d’un nouveau type de société et d’une nouvelle échelle des valeurs qui plongent les parents dans le désarroi aujourd’hui, ainsi que les institutions chargées de l’éducation de la jeunesse, de la famille et de la formation professionnelle.
Le modèles de réussite sociale qui prend de l’ampleur de nos jours et qui est propagé par Internet et les réseaux sociaux fait la part belle à la vénalité, à la superficialité, à la dépravation des mœurs, à la facilité, aux apparences. Malheureusement il y a lieu de relever que ce nouveau modèle de réussite sociale fondé sur l’exaltation de l’avoir au détriment de l’être et de la valeur conduit inévitablement à la déshumanisation, à la chosification de l’humain, à la décadence et au chaos d’une société privée de repères positifs, sans valeurs, sans foi ni loi. Internet et les réseaux sociaux se présentent ainsi comme une jungle où se côtoient le meilleur et le pire, les informations utiles et éducatives, comme les futiles et nocives. Il apparaît donc indispensable, voire vital pour l’internaute, de faire preuve d’esprit critique, de sagesse et de discernement, afin de séparer le bon grain de l’ivraie, de promouvoir l’utile et de se détourner des contenus futiles et trompeurs, facteurs d’abrutissement des citoyens. A cet effet, les leaders d’opinion, les têtes de proue de ce phénomène d’influenceur, les ONG, les pouvoirs publics chargés des affaires sociales, de la femme et de la famille, de la formation professionnelle et de l’éducation des masses, sont interpellés au sujet du renforcement du contrôle des contenus produits par les influenceurs(ses) du Web, non seulement par l’intensification de la coercition, mais aussi par la sensibilisation et l’éducation aux valeurs humaines et sociales fondamentales.
Par Caroline Meva écrivaine