Le 20 juin 2024, une ordonnance signée par le président Paul Biya modifiant la loi de finances 2024 a dévoilé la répartition des recettes issues des frais liés à la délivrance des titres identitaires, passeports et visas. Ces augmentations tarifaires, déjà dénoncées par la population camerounaise, mettent en lumière un partage inéquitable des revenus entre l’État et un prestataire privé étranger. La question se pose : à qui profite réellement cette manne financière ?
Une répartition déséquilibrée des recettes
Sur les 110 000 FCFA exigés pour l’établissement d’un passeport ordinaire, le consortium germano-portugais INCM-Augentic, chargé de la production, reçoit 90 640 FCFA, soit 82,40 % du montant. À côté, le Trésor public perçoit 12 364 FCFA (11,24 %), tandis que la Délégation générale à la sûreté nationale (DGSN), en charge de la délivrance, se contente de 6 996 FCFA (6,36 %).
Une telle disproportion entre les parts allouées au prestataire et celles revenant aux institutions publiques soulève de vives critiques. Dans un contexte où les services publics manquent cruellement de financements, ce modèle économique interroge sur la pertinence et la transparence des contrats signés.
Des comparaisons qui dérangent
En Afrique, le prix d’un passeport camerounais est l’un des plus élevés. À titre de comparaison :
Sénégal : le coût d’un passeport biométrique est de 55 000 FCFA, soit moitié moins cher qu’au Cameroun.
Nigeria : le passeport ordinaire coûte environ 70 000 FCFA (ou 130 dollars), bien que le pays ait également recours à un prestataire privé.
Afrique du Sud : les citoyens paient environ 600 rands (environ 25 000 FCFA), un montant quatre fois inférieur à celui du Cameroun.
Dans ces pays, bien que certains aient externalisé la production des passeports, la majorité des revenus issus de ces frais revient aux caisses publiques, soutenant directement le développement des services de l’État.
En Europe, la comparaison est encore plus frappante. En France, le passeport coûte 86 euros (environ 56 000 FCFA), soit environ la moitié du tarif camerounais, pour un niveau de vie bien supérieur. De plus, dans ces pays, les citoyens bénéficient d’un service public de qualité financé par les impôts et taxes collectés. Au Cameroun, la misère et la pauvreté sont le lot quotidien des populations, malgré une fiscalité hyper offensive.
Une fiscalité à double tranchant
La hausse des tarifs au Cameroun s’inscrit dans une politique fiscale souvent jugée déconnectée de la réalité des citoyens. Avec un salaire minimum fixé à 36 270 FCFA, soit moins du tiers du coût d’un passeport, de nombreux Camerounais peinent à accéder à ce document essentiel. À cela s’ajoute une faible transparence dans la gestion des fonds collectés, alimentant les frustrations.
Une modernisation au goût amer
L’État camerounais justifie la hausse des prix par la nécessité de moderniser et de sécuriser les titres identitaires. Cependant, cette dépendance à un prestataire étranger, engagée pour 200 millions d’euros (131 milliards de FCFA), suscite des interrogations. Pourquoi l’État n’a-t-il pas investi dans le développement local de ces technologies ? D’autres pays africains, comme le Maroc, ont démontré qu’il est possible de produire localement des documents sécurisés tout en maximisant les revenus pour le Trésor public.
Quelles solutions pour un système plus équitable ?
Pour de nombreux observateurs, il est urgent de réévaluer les contrats signés avec des prestataires étrangers afin de rééquilibrer les bénéfices en faveur de l’État. La réinternalisation de la production des documents officiels pourrait également être une solution. En parallèle, une meilleure transparence dans la gestion des recettes et une baisse des tarifs pour les citoyens les plus modestes s’imposent.
Par Charles Chacot CHIME