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La situation dans le département du Mayo-Kani, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, reste extrêmement tendue. Malgré les appels au calme des autorités administratives, les manifestations contre la création du parc national de Ma Mbed Mbed prennent une tournure de plus en plus radicale. Vendredi dernier, plus de 10 000 personnes, selon des estimations non officielles, se sont rassemblées dans les localités de Kourbi et Ngarmassé pour exiger l’annulation du décret créant ce parc. Les manifestants, majoritairement issus de l’ethnie Tupuri, menacent de poursuivre leurs mobilisations si le gouvernement ne cède pas à leurs revendications.
Une détermination inébranlable
Les manifestants ne semblent pas prêts à reculer. « Après la fête de la Jeunesse [célébrée chaque 11 février], nous manifesterons à nouveau pacifiquement si le gouvernement n’a pas annulé le décret », a déclaré l’un des porte-parole du mouvement. Cette détermination se reflète également dans un projet de correspondance adressé au gouverneur de l’Extrême-Nord, Midjiyawa Bakari. Les auteurs de cette lettre accusent le gouverneur d’avoir minimisé la situation et d’avoir « tronqué la vérité », contribuant ainsi à radicaliser encore davantage les manifestants. Le ton est vif : « Vous nous avez pris pour des illettrés », peut-on lire dans le document.
Un sentiment d’injustice profond
L’ethnie Tupuri, majoritaire dans la région, se sent lésée par ce projet de parc national. Froumsia Moksia, un universitaire de l’université de Maroua qui dirige le bureau chargé des négociations pour la fermeture de Ma Mbed Mbed, confirme que les récents événements ont exacerbé les tensions. « Les populations sont convaincues que le gouvernement préfère déplacer des hommes pour installer des éléphants », explique-t-il. Selon lui, le tracé du parc obligerait le déplacement de plusieurs villages, dont certains existent depuis 1935. Cette perspective a renforcé le sentiment d’injustice parmi les Tupuris, qui voient dans ce projet une menace directe à leur mode de vie et à leurs terres ancestrales.
Des mobilisations qui pourraient s’amplifier
Les prochaines manifestations pourraient attirer encore plus de monde, notamment grâce aux liens étroits entre les Tupuris du Cameroun et ceux du Tchad. Abel Dawe, un jeune militant de Dziguilao, souligne que les Tupuris sont un peuple uni, présent dans huit arrondissements de l’Extrême-Nord et au sud-est du Tchad. « Les connexions entre les Tupuris des deux pays sont fortes, et cela pourrait gonfler les rangs des manifestants », prévient-il. Les prochaines mobilisations devraient notamment bloquer la route entre Kaélé et Yagoua, deux villes clés de la région.
Le gouvernement sous pression
Face à cette montée de tension, le gouvernement semble prendre la mesure du problème. Le Premier ministre Joseph Dion Ngute a convoqué une réunion urgente avec le ministre des Domaines, du cadastre et des affaires foncières, Henri Eyebe Ayissi, pour trouver des « mesures concrètes » à mettre en œuvre. Cependant, Froumsia Moksia reste sceptique. Il rappelle que le Bureau qu’il dirige a déjà saisi le Premier ministère à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse satisfaisante. Il a même écrit au président Paul Biya pour dénoncer ce qu’il qualifie de « complot contre le peuple Tupuri », mais sans succès.
Un projet controversé aux conséquences lourdes
Le projet de parc de Ma Mbed Mbed, qui date de 2004, a été relancé en 2020 avec la signature du décret de création par le Premier ministre. Selon le ministère des Forêts et de la faune (Minfof), ce parc servirait de couloir de migration pour les éléphants entre les parcs de Binder Léré au Tchad et de Kalfou au Cameroun. Cependant, les populations locales craignent que ces éléphants ne sortent de la réserve pour attaquer les villages et détruire les plantations. « Quand un éléphant a soif, il peut parcourir 100 kilomètres pour chercher de l’eau, ce qui l’amènera hors de la réserve », explique Froumsia Moksia.
Une affaire qui dépasse les frontières
Cette crise a des répercussions politiques, notamment en pleine année électorale. Mamadou Mota, vice-président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de l’opposant Maurice Kamto, a exprimé sa sympathie pour les manifestants Tupuris. Il prédit que les électeurs se souviendront de cette mobilisation lors de la prochaine élection présidentielle prévue en octobre.
Alors que les tensions montent et que les manifestants se radicalisent, le gouvernement camerounais se trouve face à un dilemme : poursuivre un projet environnemental controversé ou répondre aux revendications légitimes d’une communauté déterminée à défendre ses terres et son mode de vie. La balle est désormais dans son camp.
Emmanuel Ekouli