Garoua, Nord Cameroun – Établi en 1935 sous l’ère coloniale, le port fluvial de Garoua, situé sur les rives de la Bénoué, reste un symbole historique du commerce régional. Conçu pour désenclaver le Nord Cameroun et faciliter les échanges avec le Nigeria, il traverse aujourd’hui une crise structurelle. Malgré son potentiel pour dynamiser les économies du Tchad, de la Centrafrique et d’autres pays enclavés, le site peine à sortir de l’oubli. Un projet de réhabilitation lancé en 2021 par le président Paul Biya, évalué à 16 milliards de FCFA (24 millions d’euros), tarde à se concrétiser, laissant les espoirs en suspens.

Un port fantôme en saison sèche
Sur les quais, l’activité se résume à quelques sacs de coton entassés sur des pirogues. Al Hadji Issa, un exportateur local, témoigne : « Par voie fluviale, je transporte de plus grosses quantités, avec moins de tracasseries qu’en empruntant les routes ». Pourtant, en cette saison sèche, il fait figure d’exception. Abbassi Ben, régisseur du port, déplore : « Cela fait trois semaines qu’il n’y avait aucune activité. Sans équipements modernes, comme des grues, le déchargement reste manuel ».

Le déclin du port, amorcé dans les années 1960 avec la fermeture temporaire de la frontière nigériane et la concurrence routière, s’accentue. En saison des pluies, la Bénoué permet une navigation plus fluide, mais le Nord Cameroun dépend alors massivement des importations nigérianes : denrées alimentaires, ciment, carreaux… « Sans le Nigeria, le Nord Cameroun n’existerait pas », souligne Abbassi Ben.

Un projet stratégique aux retombées sous-régionales
La réhabilitation du port ne se limite pas à Garoua. Elle s’inscrit dans un schéma directeur 2025-2035 visant à créer un « combinat industrialo-portuaire », selon le Port Autonome de Douala (PAD), partenaire clé du projet . L’objectif ? Faire du site une plaque tournante pour le commerce transfrontalier, en synergie avec des infrastructures comme le port sec de Ngaoundéré ou le futur chemin de fer Ngaoundéré-Ndjamena.

Noivouna Hakassou, adjoint au maire de Garoua, insiste : « Les études de faisabilité sont bouclées. Il faut maintenant draguer le port et moderniser les quais. Nous avons l’expertise du PAD, mais les financements manquent ». Le dragage, essentiel pour lutter contre l’ensablement, pourrait relancer un trafic commercial formel avec le Nigeria, aujourd’hui dominé par l’informel.

Des retards qui coûtent cher
Quatre ans après son annonce, le projet patine. En cause : des lenteurs administratives et un financement non sécurisé. Pourtant, les attentes sont immenses. « Une fois opérationnel, le port boosterait les recettes douanières et fluidifierait les échanges pour les entrepreneurs camerounais, nigérians et tchadiens », explique Abbassi Ben.

Le gouvernement mise aussi sur des projets complémentaires, comme la reconstruction de la route Ngaoundéré-Garoua, financée à 97 % par la Banque Africaine de Développement (BAD) pour 216 milliards de FCFA. Ce corridor, vital pour relier Douala à N’Djamena, doit être achevé d’ici 2030. Toutefois, les populations locales restent sceptiques face aux annonces répétées. « On nous promet des travaux depuis des années… », lance un habitant sur les réseaux sociaux.

Un test pour l’intégration économique
La relance du port de Garoua dépasse les enjeux locaux. Elle incarne l’ambition camerounaise de positionner le Nord comme un hub logistique face au géant nigérian. Pour le PAD, qui a rénové la drague Chantal Biya, l’expertise technique existe . Reste à traduire les plans en actes.

En attendant, les commerçants comme Al Hadji Issa continuent de braver les obstacles, symbole d’une résilience qui contraste avec l’immobilisme des infrastructures. « Si ce port renaît, ce sera un bienfait pour toute la sous-région », espère Abbassi Ben. Un espoir partagé par des millions de personnes, à l’heure où le Cameroun cherche à rééquilibrer son développement économique.

Alors que les premiers coups de pelle sur la route Ngaoundéré-Garoua sont annoncés pour avril 2025, les regards se tournent vers Yaoundé. La réhabilitation du port fluvial de Garoua, miroir des défis logistiques et politiques du Cameroun, reste un test crucial pour l’avenir du septentrion – et de l’intégration régionale en Afrique centrale.

Par notre envoyé spécial à Garoua, Ndongo Tsala Christophe

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *