
Yaoundé, 5 juin 2025 – Le gouvernement camerounais vient de lancer une nouvelle étude pour la mise en place d’un train de banlieue et d’un Bus Rapide Transit (BRT) à Yaoundé. Financée par le fonds d’investissement public suédois SwedFund International AB, cette initiative vise à désengorger la capitale, dont les embouteillages sont devenus légendaires. Mais dans un pays où les études coûteuses s’accumulent sans déboucher sur des réalisations concrètes, la population et les experts restent sceptiques.
Un projet ambitieux… encore une fois
Le futur réseau ferroviaire devrait relier les banlieues de Ngoumou (à l’ouest de Yaoundé) et Obala (au nord) au centre-ville, tandis que le BRT, inspiré des modèles de Bogotá ou Lagos, promet un transport en commun rapide et efficace. Sur le papier, le projet est séduisant : réduction des bouchons, amélioration de la mobilité urbaine et stimulation économique.
Pourtant, l’annonce de cette étude ravive un sentiment de déjà-vu. Depuis des années, le Cameroun multiplie les diagnostics, les audits et les plans de faisabilité pour des infrastructures qui ne voient jamais le jour. Entre les projets abandonnés, les retards interminables et les budgets engloutis sans résultats, la patience des citoyens s’amenuise.
Le syndrome des « études fantômes »
Le phénomène n’est pas nouveau. En 2015, une étude de 2,5 milliards de FCFA avait été commandée pour un tramway à Douala. Résultat : aucun chantier lancé. En 2018, c’était au tour du métro d’Yaoundé d’être scruté pour près de 3 milliards de FCFA – le dossier dort aujourd’hui dans un tiroir. Plus récemment, l’étude pour l’aménagement du corridor Douala-Bafoussam-Bamenda a coûté 4 milliards sans avancée notable.
« C’est un gaspillage chronique », dénonce Éric Njoya, économiste spécialisé en politiques publiques. « On dépense des milliards en consultants étrangers, en missions d’expertise, puis les projets sont soit abandonnés, soit retardés indéfiniment. Entre-temps, les routes se dégradent et la population continue de souffrir. »
Pourquoi tant d’échecs ?
Plusieurs facteurs expliquent ces échecs répétés :
- Problèmes de financement : Les études sont souvent financées par des partenaires étrangers, mais la réalisation des projets dépend des fonds publics camerounais, régulièrement détournés ou mal gérés.
- Manque de continuité politique : Chaque nouveau ministre ou directeur remet en cause les choix de son prédécesseur, entraînant des revirements stratégiques.
- Corruption et surfacturation : Les marchés d’études sont parfois attribués à des sociétés opaques, avec des coûts exagérés.
SwedFund, un partenaire sérieux… mais suffisant ?
Contrairement à certains bailleurs peu regardants, SwedFund International AB impose des clauses strictes en matière de transparence. Reste à savoir si cela suffira à garantir l’aboutissement du projet. « L’étude ne doit pas être une fin en soi », insiste un expert des transports sous couvert d’anonymat. « Si le gouvernement ne débloque pas ensuite les fonds pour la construction, tout cela ne servira à rien. »
La population en a assez
Dans les quartiers concernés, l’enthousiasme est mesuré. « On nous promet toujours des grands projets, mais rien ne change », soupire Martine, une habitante d’Obala. « Ici, on prend toujours les taxis brousse surchargés, et les routes sont en terre. Si ce train arrive un jour, je serai surprise. »
Entre espoir et défiance
Le Cameroun a besoin d’infrastructures modernes pour accompagner sa croissance démographique. Mais tant que les autorités ne rompront pas avec la culture des « études sans suite », la défiance persistera. Le projet de train de banlieue et de BRT à Yaoundé pourrait être une révolution… ou simplement un autre rapport qui finira aux archives.
En attendant, les milliards continuent de s’envoler. Et les embouteillages aussi.
Emmanuel Ekouli