Le 18 février 2025 à 13 heures, la Cour d’Appel de Yaoundé a rendu un verdict qui ne manquera pas de relancer le débat sur la transparence et la crédibilité du processus électoral au Cameroun. Dans une décision unanime, les trois juges Gilbert Schlick, Gabriel Pascal Tankoua et Emgbang Ondoa René Florentin ont déclaré la cour incompétente pour statuer sur la demande du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) concernant la publication forcée de la liste électorale nationale. Ce verdict, qui s’inscrit dans une série de décisions similaires, soulève des questions cruciales sur l’état de la démocratie et de la justice préélectorale dans le pays.

Un verdict attendu, mais décevant

La Cour d’Appel a estimé que sa compétence était limitée aux cas d’omissions, d’erreurs et de doublons dans la liste électorale, conformément à l’article 81 du Code électoral. Or, la demande du MRC ne rentrait pas dans ces trois cas de figure. Ainsi, la cour s’est déclarée incompétente ratione materiae, renvoyant le MRC à « mieux se pourvoir ». Cette décision fait écho à celle du Conseil Constitutionnel rendue le 21 janvier 2025, qui avait également décliné sa compétence dans cette affaire.

Le MRC, qui avait saisi le Conseil Constitutionnel le 8 janvier 2025, craignait déjà un tel scénario. Le verdict de la Cour d’Appel confirme ces craintes et souligne un problème plus profond : un conflit potentiel négatif de compétence entre les différentes juridictions. Pourtant, les décisions du Conseil Constitutionnel s’imposent à l’ordre judiciaire, militaire et administratif, au même titre que la Constitution elle-même. Alors, pourquoi cette incompétence répétée ?

Une jurisprudence préélectorale qui inquiète

Cette décision s’ajoute à une série de jurisprudences préélectorales qui nourrissent les inquiétudes quant à la transparence du processus électoral. Le 31 octobre 2024, le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi s’était déjà déclaré incompétent dans une affaire similaire, concernant la non-publication de la liste électorale nationale au 30 décembre 2023. Trois décisions d’incompétence en l’espace de six mois, d’octobre 2024 à février 2025, laissent perplexe quant à la volonté réelle des institutions de garantir un processus électoral démocratique.

Le contentieux préélectoral, censé garantir la transparence et la liberté du vote, semble ainsi s’enliser dans des procédures judiciaires interminables. Plus d’une centaine de requêtes similaires sont encore pendantes devant le Conseil Electoral, qui bénéficie désormais d’une protection juridictionnelle et gouvernementale quasi-totale. Cette situation pose la question de savoir qui, finalement, est compétent pour trancher ces litiges cruciaux pour la démocratie camerounaise.

La question des audits et des dysfonctionnements techniques

Parallèlement à ces batailles judiciaires, le MRC a introduit, le 3 février 2025, une demande d’audits de qualité et de fiabilité fonctionnelle des contrats et infrastructures de biométrie électorale en cours d’exploitation à ELECAM. Cette demande fait suite à des déclarations publiques du Président du Conseil Electoral, qui a admis sous serment que les équipements techniques avaient été victimes d’attaques cybernétiques non résolues.

Le MRC réclame donc l’intervention d’experts neutres et compétents pour évaluer la situation. Cette demande est d’autant plus cruciale que le partenaire technologique d’ELECAM, VERIDOS, une filiale du groupe allemand Giesecke & Devrient, est suspecté de dysfonctionnements techniques. Ce géant de la biométrie, dont le contrat a été renouvelé en 2019 pour deux ans, est également actif au Brésil, au Botswana, en Égypte et dans les pays baltiques. Sa réputation est désormais en jeu au Cameroun, où il est accusé de cautionner des fraudes électorales potentielles en fournissant des infrastructures incapables de produire une liste électorale nationale fiable et à jour.

Les droits électoraux des Camerounais en danger

Au cœur de ce contentieux se trouve la question des droits électoraux des Camerounais. La publication de la liste électorale nationale est une formalité légale essentielle pour garantir la transparence et la non-discrimination électorale. Pourtant, ELECAM, soutenu par le gouvernement et les institutions judiciaires, semble réticent à respecter cette obligation.

Les droits des électeurs inscrits, notamment leur droit au contrôle a priori et leur droit de participer à la gestion des affaires publiques, sont ainsi mis en péril. Ces droits, inscrits dans plusieurs instruments internationaux tels que le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Charte Africaine des Droits de l’Homme, sont pourtant des piliers fondamentaux de la démocratie.

Quelle voie pour le MRC ?

Face à cette impasse judiciaire, le MRC se retrouve dans une situation complexe. La Cour d’Appel ne lui a pas indiqué devant quelle juridiction se pourvoir. Aller en cassation ? Revenir devant le Conseil Constitutionnel ? Saisir le juge des droits de l’Homme ? Les options sont floues, et aucune ne garantit un résultat favorable.

Une solution plausible serait de banquer les décisions d’incompétence rendues, pour une exploitation ultérieure. Mais en attendant, le processus électoral continue de se dérouler dans un climat d’opacité et de méfiance.

Le verdict de la Cour d’Appel de Yaoundé du 18 février 2025 marque un nouveau chapitre dans le contentieux électoral entre le MRC et ELECAM. Il souligne les lacunes du système judiciaire camerounais en matière de justice préélectorale et pose des questions fondamentales sur la transparence et la crédibilité du processus électoral. Alors que les droits électoraux des Camerounais sont de plus en plus menacés, il est urgent que les institutions prennent leurs responsabilités pour garantir un scrutin libre, transparent et démocratique.

En attendant, le MRC, et avec lui tous les Camerounais soucieux de leur démocratie, se retrouvent dans l’expectative, face à un système qui semble tourner en rond. La balle est désormais dans le camp des institutions, mais jusqu’à quand ?

Emmanuel Ekouli

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